ONE.
Au petit matin, Presiosa rentrait chez elle, chaussures à la main, sur la pointe des pieds et remontait avec précaution l’escalier de la villa des Da Silva. Elle s’enferma dans la chambre puis réapparut comme une fleur, quelques heures plus tard, dans la cuisine où toute la famille s’installait pour le petit déjeuner. Bien entendu, Antonio, le père de cette patrie, était absent : il se rendait au travail bien avant que tout le monde se lève. Il flottait dans l’air un curieux mélange d’odeur sacré et salé. Presiosa salua tout le monde par une bise sur la joue, s’assit. Elle s’abstint difficilement de bavarder comme à son habitude. Elle ne comptait pas attirer l’attention sur le fait que la veille, elle n’était pas rentrer pour le dîner, mais des heures plus tard… Elle ne savait pas très bien si sa mère l’avait remarqué, affairée à ses casseroles, et allait la questionner. Elle eut très rapidement sa réponse, alors qu’elle se servait une tasse de café brûlant.

- Presiosa chérie… à quelle heure est-tu rentrée hier soir ?
Le regard de sa mère lui brûlait le dos. Elle prit soin de ne pas le croiser et retourna s’asseoir avec le café. Elle s’était rendue à une soirée en ayant prétendu aller à la bibliothèque. Histoire de préserver l’image de fille sage auprès de maman et papa.
- On est allé chez Stacy avec des livres lorsque la bibliothèque a fermé. Je crois que les révisions nous ont assommés, on s’est endormies ! répondit-elle d’un ton dégagée avant d’avaler une longue gorgée de café. Elle n’avait même pas répondu à la question.

A ce moment là, un jeune homme entra dans la pièce, l’air blasé et les cheveux ébouriffés. C’était Tiago. Bien que beaucoup aurait trouvé choquant de faire du favoritisme parmi ses propres frères et sœurs, Presiosa, elle, aimait Tiago plus que tous les autres adolescents présents autour de la table. Pourtant, elle avait une bien étrange façon de le montrer. Tiago était le rebelle de la famille, mais se faisait prendre pour la plupart du temps. Et personne ne savait que Presiosa était exactement comme lui, sauf qu’elle, se cachait derrière les bêtises de son frère. C’est ainsi qu’avant de laisser l’occasion de se faire interroger de nouveau, Presiosa s’écria :

- Tiens, voilà Tiago !
L’effet fût escompté. Le jeune homme fut immédiatement assailli de questions et reproches.
- (…) Encore un courrier du lycée ! La dernière fois ne t’a donc pas servi de leçon ?
Penaud, il s’assit, suivi du regard par Presiosa. Il ne semblait pas particulièrement atteint par ses paroles et se tenait avec une certaine classe. Même au réveil, il restait très beau et le nombre de filles qu’il ramenait en cachette dans sa chambre en témoignait. Seule l’annonce finale de Mme Da Silva fit réagir la gueule d’ange.
- Antonio et moi avons discuté, Tiago chéri. Et nous pensons sérieusement à t’envoyer dans un internat, assez loin d’ici.

Presiosa vit de nombreuses choses s’écrouler autour d’elle. Non seulement elle allait être séparée de Tiago, son frère tant aimé, mais ses frasques allaient être vues au grand jour.

Cela ne manqua pas.
Quelques mois plus tard, elle fût à son tour envoyé à l’internat fréquenté par son frère… tout en sachant qu’il n’était pas strict comme les parents le pensaient, qu’elle allait retrouver un être cher et que certainement, elle passerait les meilleurs moments de sa vie d’étudiante.

TWO.
Un peu plus d’un an auparavant, Presiosa avait quitté le lycée pour une école d’art du spectacle. Elle avait laissé derrière elle de bons souvenirs et bien entendu, son frère, afin de réaliser son rêve. Reprendre la danse, c’était ce qui obnubilait son esprit en permanence et grâce à des parents géniaux, elle avait décroché une place dans une académie plutôt prestigieuse. Mais tous les plans avaient échoué. Le rythme avait été infernal, l’ambiance médiocre et même la motivation invincible de la demoiselle n’avait pas été suffisante. L’examen final de cette première année fût un échec total pour Presiosa et elle avait préféré directement rentrer chez elle plutôt que de retenter une année où, elle le savait, elle se serait littéralement écroulée.
C’était donc un retour au bercail pour une jeune femme sans projet pour l’avenir et qui n’avait aucune chance dans les études. Aussi incroyable que cela puisse paraître, l’extravagante et tyrannique Presiosa s’apitoyait sur son sort depuis des jours et des jours, cloisonnée dans une chambre de la maison quasi vide des Da Silva. Il ne restait plus qu’elle, ses parents épanouis dans leurs jobs ne faisaient apparition que le soir. Les trois frères et sœurs restant menaient chacun une vie de leur côté. Shawn parcourait le monde, Tiago faisait sensation en football et Kate était sur le point d’obtenir brillamment son diplôme. Pour la première fois, Presiosa n’était pas en haut de l’affiche, ce qui la rendait incroyablement déprimée. Les jours passaient sans qu’elle ne s’en rende vraiment compte, allongée sur le lit, elle repassait dans sa tête tous les moments forts de sa vie en se demandant si elle en vivrait de nouveaux.

Un soir, un étage à peine en dessous de Presiosa, se déroulait une conversation téléphonique entre Antonio Da Silva et une certaine Josie Hambleton …

- (…) ma Josie, ça fait si longtemps ! J’ai pu constater ton succès phénoménal avec la couture. Que dis-je, ton travail c’est de la haute, très haute couture. J’ai même cru comprendre que tu avais réalisé les costumes de plusieurs films hollywoodiens… ?!
- Antonio, ne me flatte pas trop ! C’est bien moi en effet, mon projet actuel, c’est le prochain Tarantino… Heureusement, je me suis installée dans une petite ville tranquille, loin de toute cette pression du show business, tu comprends.
- Devine quoi ? J’ai pour toi l’assistante idéale ! Elle est extraordinaire, belle, talentueuse… Elle fera n’importe quoi, elle sait tout faire ! C’est évident puisque c’est ma fille, tu sais (…)

Quelques minutes plus tard, la porte de la chambre s’ouvrit à la volée et à peine eut-il terminé sa phrase que la silhouette d’Antonio avait déjà disparue dans le couloir.

- Presiosa, debout, prépare tes bagages, tu vas à Ruby Creek Falls, tu as un magnifique travail, un magnifique père… et tu n’as pas le choix, debout !