Et soudain, à travers la grisaille, le désespoir et les pleurs, un rayon de soleil surgit, éclairant les ruines de la ville d'une lueur d'espoir...

Le glissement de terrain qui avait plongé la ville de Ruby Creek Falls dans le chaos avait fait au final plus de peur que de mal. Si certains quartiers étaient complètement détruits et que des dizaines de familles se retrouvaient sans toit, cela n'avait en aucun cas affecté le moral des habitants. Tous s'étaient serrés les coudes dans l'épreuve tragique qui avait agité la ville. Les volontaires avaient été nombreux à héberger d'autres habitants, n'hésitant pas à faire entrer sous leur toit une nouvelle famille. Des liens s'étaient tissés, la solidarité avait pris le dessus. Tous sans aucune exception avaient fait preuve d'un courage sans nom et d'une générosité incroyable. La ville avait reçu des dons de toutes les personnes qui n'avaient pas été touchées par la catastrophe, des habitants avaient organisé des ventes de cookies et de pâtisserie, des tombolas et certains avaient créé un site Internet pour récolter des dons. Ruby Creek Falls s'était transformée en une énorme ruche lorsque des dizaines de volontaires s'étaient mis à l'oeuvre pour déblayer les décombres, récupérer les objets qui avaient échappé à la destruction. Chacun avait pensé, en son for intérieur, que jamais la ville ne s'en remettrait, et pourtant chacun avait participé aux activités destinées à aider les victimes du glissement de terrain. Des villes voisines, touchées par ce qui était arrivé à Ruby Creek Falls, s'étaient même mobilisées pour prêter main forte. Jamais ce petit coin perdu de l'Idaho n'avait semblé si généreux. On avait même parlé de la ville aux informations nationales et des étrangers avaient afflué de tous les coins du pays pour donner un coup de main bien mérité.

Peu à peu, la ville reprit ses activités. Les agriculteurs qui, pour un temps avaient abandonné leurs champs pour aider à déblayer avec leurs tracteurs, reprenaient doucement leur travail. Les boutiques, fermées pendant un moment, rouvraient leurs portes. La mairie grouillait pourtant encore pour tenter de répartir les fonds aux victimes de la catastrophe. Jusqu'au jour où quelque chose d'inattendu se produisit. Une armada de 4x4 noirs rutilants débarqua dans les quartiers détruits, des ingénieurs en costard cravate prirent des mesures, firent des photos, étudièrent les alentours et passèrent de nombreux coups de téléphone. Les habitants, intrigués, froncèrent les sourcils, mais avaient beaucoup trop à faire pour s'occuper de résoudre le mystère des hommes en noir surgis de nulle part. Ils repartirent comme ils étaient venus: en trombe. On n'entendit plus parler d'eux. Au moins pendant quelques semaines. Et puis ils revinrent et prirent directement le chemin de la mairie. On vit les véhicules stationnés là pendant toute une journée. Journée pendant laquelle le maire resta injoignable: en réunion majeure, murmurait-on dans les couloirs de l'administration. Le lendemain, le maire Jackson réunit la population dans le hall sportif de Ruby Creek Falls High School pour "une annonce importante". Intrigués, les habitants se montrèrent nombreux au rassemblement. Sur l'estrade, le maire semblait nerveux, tiraillé. Derrière lui étaient assis trois hommes en costard noir et une femme en tailleur bleu marine. Tous les quatre étaient tirés à quatre épingles et en imposaient. Ils se tenaient droits comme des piquets et semblaient bien déterminés. A quoi? Telle était la question qui fut élucidée en quelques phrases du maire. Puis un des hommes en noir prit la parole.


« Mesdames et Messieurs, je tiens à vous remercier de votre très nombreuse présence en ce jour. Je suis Peter McHale de l'entreprise McHale & Cie. Comme certains le savent peut-être déjà, nous sommes une entreprise d'immobilier. Nous avons une offre à vous faire et allons vous présenter notre projet. La catastrophe qui a touché votre ville est une véritable tragédie et nous sommes conscients que la reconstruction sera longue et difficile. C'est pourquoi nous vous proposons de vous y aider. McHale & Cie a étudié les quartiers les plus endommagés et est en mesure de vous proposer de nouvelles maisons. Les frais de démolitions seront à notre charge, de même que la reconstruction des maisons. En lieu et place des amas de décombres se dresseront de coquettes maisons individuelles avec jardin. Notre meilleur architecte, Mr Stephens va vous présenter les plans tels qu'il les imagine. » Le premier homme se recula et laissa place à un second, légèrement plus petit, mais tout aussi déterminé et souriant. Un murmure traversa l'assistance. « Bonsoir. Comme Mr McHale vous l'a très bien expliqué, nous imaginons un projet révolutionnaire qui vous évitera les désagréments de la reconstruction et sera bien plus rapide que des projets individuels. » Il pointa une télécommande vers un ordinateur qui diffusa une image sur un écran blanc placé derrière lui. Une vue aérienne du quartier détruit s'afficha, provoquant des tremblements et des sanglots parmi le public. « Ca, c'est le quartier aujourd'hui. Voici ce que le quartier sera après les travaux. » Il appuya sur un bouton de la télécommande et suivit une vue en trois dimensions d'un quartier américain typique avec jardins, arbres et troittoirs en béton. La vue s'anima et donna lieu à une petit tour de voisinage. Le public s'anima. Certains étaient émerveillés, d'autres plutôt indignés. L'architecte continua à exposer divers plans de maisons toutes identiques mais pourtant bien coquettes. La dame en tailleur se leva et, à son tour, prit la parole pour exposer les chiffres des travaux, les coûts de projets de reconstruction individuels et les coûts qu'engendreraient leur projet. Elle fit défiler des tableaux comparatifs qu'elle expliqua rapidement avec un sourire convaincant. Puis le maire revint à l'avant de l'estrade pour demander l'avis de la population. Les fascicules du projet seraient disponibles à la mairie, de même que des dossiers personnalisés pour les victimes de la catastrophe. Un référendum se tiendrait dans deux semaines afin de faire part de l'avis de chacun. Lorsque le discours fut terminé, les habitants quittèrent leur place, à la fois atterrés et indécis. Ce projet était trop beau pour être vrai. Qu'allait-il arriver à Ruby Creek Falls si ces requins de McHale & Cie reconstruisaient tout Amethyst Mews et les autres rues touchées? Et les agriculteurs victimes de l'éboulement, qu'arriverait-il à leur ferme? Auraient-il aussi droit à une reconstruction? Tant de questions sans réponse...

La société McHale & Cie, grosse entreprise immobilière à l'échelle nationale, ayant entendu parlé de la catastrophe, a senti l'odeur alléchante de l'argent facile. Quoi de plus simple que de duper ces paysans de Ruby Creek Falls pour se mettre des billets verts plein les poches ? Le projet est intéressant à tous les points de vue, du moins en apparence. Car comme le soulignent certains habitants, c'est trop beau pour être vrai. Derrière les chiffres de la comptable se cachent sans aucun doute des entourloupes et des magouilles de businessmen. Mais comment en être sûr? Ce projet immobilier émerveille et effraie les habitants qui ne savent que penser. Une nouvelle maison à moindre frais. Oui, mais et l'authenticité du quartier? Leurs plans montrent des maisons toutes similaires, quelques immeubles pour appartements et un petit parc. Alléchant, mais cela ressemble-t-il vraiment à Ruby Creek Falls. Mais d'un autre côté, la reconstruction est lente. Trop lente. La rénovation de l'hôpital nécessite beaucoup de bras qui ne peuvent s'occuper des habitations détruites. Une décision doit être prise, et vite. L'hiver n'est pas bien loin et la cohabitation ne pourra pas durer éternellement. Mais vous, qu'en pensez-vous?