DANS-JEU ; L'imagination gouverne le monde (Napoléon)

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NOM : Cadogan, née Van Brugghe PRENOMS : Amber Penelope DATE (Âge) & LIEU DE NAISSANCE (Etat) : 13/09/1983; Malines, Belgium EMPLOI/ETUDES : Traductrice GROUPE : Citizens

Amber s’activait tout autour de la pièce avec méthodologie. La moitié de sa penderie était déjà soigneusement pliée dans une immense valise noire. L’autre était posée sur le lit, attendant son tour. Cela faisait une demi-heure que son cœur battait follement. De mal. De culpabilité. De panique. De colère. Contre elle-même. Parce qu’elle était incapable de se remettre les idées en place, de penser clairement. Tout ce qu’elle voyait, c’était le visage décomposé de Christopher. Elle le connaissait par cœur. Elle avait passé tant d’heures à caresser sa peau, à tracer des lignes invisibles autour de ses yeux rieurs, à suivre les plis formés par les petites rides amusées, à tracer un chemin imaginaire entre ses sourcils, sur son nez, avant de se séparer en deux routes identiques sur ses joues rugueuses. Des routes jumelles et à cette image, elle ne put s’empêcher de revenir en arrière, de revoir les deux frères réunis, similaires à tous points de vue. Pire. Indissociables si on ne les connaissait pas intimement, ou du moins, qu’on en connaisse un sur le bout des doigts. Christopher était son tout, son âme sœur. Elle l’avait rencontré bien avant de voir Eugene pour la première fois et si la ressemblance frappante l’avait laissé pantoise, elle n’en avait pourtant jamais été troublée au point de les confondre, malgré leurs tentatives infructueuses. Joueurs, ils avaient bien essayé de la faire trébucher, de la faire douter mais un regard suffisait pour qu’elle plonge dans l’âme de son amant. Tout comme un simple regard suffisait à Christopher pour savoir lire en elle comme dans un livre ouvert. C’était pour ça qu’elle ne pouvait pas rester, voir le doute s’installer dans le regard de son mari. L’inquiétude serait insupportable, elle ne pouvait pas le voir souffrir de ne pas savoir. Et il voudrait forcément savoir. C’était humain. Elle aurait voulu pouvoir se maitriser comme au bureau, arborer ce visage distant et professionnel qu’elle gardait en tout temps, même lorsqu’elle était le sujet des railleries de ses collègues. Ils la trouvaient trop ambitieuse, trop « coincée ». Ce terme l’avait toujours beaucoup amusée. Ils ne la connaissaient pas, ils ignoraient tout de son véritable tempérament, ils n’avaient droit qu’à Amber Van Brugghe, fille d’un entrepreneur belge et d’une Anglaise un peu frivole sur les bords. Davantage élevée par son père, elle avait grandi dans le milieu commercial, avait découvert toutes les ficelles du métier et avait été initiée dès son plus jeune âge aux jeux et entourloupes de Jeroen. Cela lui avait plutôt bien réussi. Elle était entrée dans une prestigieuse école et en était sortie diplômée avec grande distinction, fluide dans plusieurs langues dont l’Anglais et le Néerlandais, hérités de ses parents mais également le Français, appris lorsqu’elle séjournait dans le petit pays paternel. Elle y avait résidé jusqu’à ses quatorze ans et puis son père avait monté une fortune monstre qui les avait poussé à voyager. Et depuis plus de dix ans, Amber ne restait pas en place plus d’une poignée d’années. Mais ça, c’était avant l’arrivée inopinée de Christopher Cadogan.
Comment décrire les sentiments qui l’envahissaient à chaque fois qu’il était là ? Dans la pièce, au téléphone, le simple fait d’être en contact avec lui faisait fondre Amber. Amber Cadogan, toujours aussi ambitieuse, beaucoup moins distante. Même après des années d’amour fou, sa passion pour Christopher ne semblait pas s’éteindre, encore moins s’affaiblir. Il faisait remonter en elle des choses incroyables et un simple sourire de la part du jeune homme donnait des ailes à Amber. Avec lui, elle pouvait braver les océans et les montagnes. Lorsqu’il lui avait demandé sa main, elle s’y attendait un peu, en ayant longuement discuté avec ses amies de Chicago, pourtant, la sensation qui s’était emparée d’elle était incomparable. Pas un instant, son pressentiment n’avait eu la possibilité d’altérer sa joie. Ce jour-là restait l’un des plus beaux de sa vie, même s’il était concurrencé par celui où elle s’était enfermée dans les toilettes, ouvrant nerveusement la boite, les doigts tremblants, la gorge sèche à l’idée que ses soupçons soient réels. Mais lorsqu’elle avait baissé les yeux sur le petit ustensile, aucun doute ne subsistait dans les yeux d’Amber. En se mariant avec Christopher, elle n’avait jamais vraiment envisagé la suite. Là où elle planifiait son avenir professionnel avec soin et longtemps à l’avance, elle était incapable de savoir de quoi demain serait fait avec le jeune Cadogan. Cet enfant n’était noté nulle part dans le calepin d’Amber et pourtant, il y avait sa place. Elle lui donnerait tout l’espace requis, repoussant ses objectifs, oubliant certains buts devenus dérisoires. Un enfant de Christopher suffisait à lui emplir le cœur d’un amour profond et inégalable. Alors pourquoi ? Pourquoi une simple question était-elle venue balayer toutes ses certitudes ? Pourquoi avait-il fallu qu’elle laisse l’angoisse et le doute noircir les pages vierges de son carnet. Les mots résonnaient encore dans sa tête alors qu’elle pliait méticuleusement ses robes de soirées. Un rire moqueur, caractéristique au personnage.

« Pff, enceinte ? T’as touché le gros lot, poupée ! Même pas la trentaine atteinte et déjà en cloque et la bague au doigt. Pour quelqu’un qui avait de l’ambition, t’as l’air d’avoir bien vite oublié d’où tu venais et où tu voulais aller. »

Elle savait qu’elle ne devrait pas y prêter attention. Tom était né pour la pousser à bout et il était de notoriété publique qu’elle lui avait plu dès son entrée dans la boite, quelques années plus tôt. Il l’avait draguée de toutes les manières possibles et si elle ne se formalisait généralement pas de ses remarques, elle ne le décourageait pas non plus. Il ne lui plaisait pourtant pas. Il pouvait se montrer drôle, un peu salace, souvent piquant, mais il n’arrivait pas à la cheville du jeune homme qu’elle avait rencontré quelques semaines plus tôt. Elle le laissait parler en sachant qu’il était doué pour cela, c’était son métier, après tout, mais jamais les mots ne l’atteignaient réellement. Jusqu’à deux jours plus tôt. De sortie avec ses collègues, elle était restée discrète quant à la nouvelle qu’elle gardait précieusement. Elle voulait attendre le moment idéal pour leur annoncer sa grossesse. Ces gens étaient devenus des amis, pour la plupart, et elle était certaine qu’ils seraient fous de joie et la féliciteraient. Mais c’était sans compter sur le manque de tact de Tom, quand il le voulait. À peine avait-elle délivré la joyeuse nouvelle qu’elle avait croisé son regard. Elle ne savait même pas pourquoi elle avait tourné presque automatiquement les yeux dans sa direction. Par défi ? Pour voir sa réaction ? Pour évaluer à quel point il l’avait en travers de la gorge ? Était-ce le sadisme qui l’avait poussée à attendre une réponse ? Sans surprise, celle-ci ne s’était pas fait attendre et elle avait été pour la première fois troublée par les mots de Tom. Une telle rancœur perçait dans ceux-ci qu’elle réalisa seulement à cet instant précis que l’attitude controversée de Tom n’était en fait que le reflet de quelque chose de plus profond. Elle qui pensait être confrontée à un coureur de jupons de premier ordre venait de comprendre que son collègue avait éprouvé des sentiments plus forts qu’il ne le voulait pour elle. Et elle n’était certainement pas la seule à s’en rendre compte. Ahurie par sa remarque, elle était restée un instant la bouche entrouverte, le cœur envolé, volatilisé. Il n’y avait plus qu’un trou à la place du muscle qui battait à tout rompre quelques secondes plus tôt. Il avait ruiné quelque chose en elle et elle se détestait de tout remettre en cause parce qu’un homme dont elle n’était même pas amoureuse avait eu le cœur brisé et avait voulu le faire partager. Ou le renvoyer à sa propriétaire, elle n’en savait rien. Jenna, une femme autoritaire éclipsa ce moment de silence d’un commentaire à l’égard de Tom mais Amber aurait été incapable de pouvoir le répéter. Son esprit avait fait un blackout et elle avait perdu pied. Une seconde elle était la femme la plus heureuse du monde, qui n’attendait que le moment où elle retrouverait les bras de son mari, la suivante, elle n’était plus qu’une poupée vidée de son essence.
Elle ne s’était même pas rendue compte que les larmes avaient commencé à couler sur ses joues et elle les essuya rapidement en entendant la porte de la chambre s’entrouvrir avec hésitation, avant que la chevelure grise de son père n’apparaisse dans l’entrebâillement. Ses yeux inquiets se posèrent sur le visage blême de sa fille et la jeune femme esquissa un pâle sourire, presque transparent et dépourvu de vie.
- J’ai presque fini, dit-elle en se reconcentrant sur les vêtements qui restaient.
- Je vais déjà mettre le reste dans la voiture.
Amber acquiesça, lui assura qu’elle n’en avait que pour une minute et lorsque la porte se referma, elle se détourna des valises presque pleines, tituba de chagrin vers la penderie de Christopher et empoigna l’une de ses chemises de travail. Elle porta le tissu à son visage luisant, se contrefichant bien de froisser le tissu de qualité et enfouit la tête dans la manche. L’étoffe avait capturé l’odeur du jeune homme et elle inspira profondément son parfum masculin avant de se mettre à sangloter. Toute cette situation avait un goût étrange, comme si son départ était définitif. Elle avait pourtant écrit le contraire dans la lettre qu’elle avait tenté, tant bien que mal, de rédiger lorsqu’elle était enfermée dans son bureau. Tom ne lui avait pas adressé un regard en pénétrant dans l’entreprise et elle en était soulagée, dans un sens. Elle ne voulait pas qu’il sache à quel point il l’avait brisée dans la foulée. Elle avait dû s’y remettre à trois fois avant d’avoir un texte convenable, un minimum cohérent. L’enveloppe se trouvait d’ailleurs toujours dans son sac. Abandonnant son poste près de leur armoire commune, elle revint vers la valise et y fourra la chemise de Christopher ainsi que le reste de ses robes. Elle ne prit pas la peine de les plier, elle qui savait se montrer si soigneuse avec ses tenues en temps normal. Elle n’avait qu’une envie, quitter cet appartement où le doute se profilait, se diffusant dans toutes les pièces, comme un nuage de mauvaise augure. Elle ne pouvait même pas expliquer ce qu’il s’était passé en elle. Tom avait raison, c’est tout ce qu’elle savait. S’il était certain qu’elle ne se débarrasserait pas de cet enfant qui grandissait en elle, elle avait tout de même besoin de temps. Pour se retrouver, se reconstruire, reprendre ses marques. D’un geste sec, elle ferma la fermeture éclair de sa valise et la fit basculer pour la poser à terre. Elle entreprit ensuite de refaire le lit, comme elle l’avait quitté ce matin, la couverture parfaitement tirée. Elle ne jeta qu’un bref regard avant de quitter la pièce. Elle retrouva son père en bas de l’immeuble. Paya le concierge pour son silence, coupa son téléphone afin de ne pas être tentée de répondre lorsque son mari, désespéré, tenterait de comprendre ce qui lui était tombé dessus. Quant à la lettre, si maladroitement rédigée, elle resta dans le sac à main de la jeune femme avant de finir brûlée dans l’âtre familiale.

HORS-JEU ; Show us your true colors

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