Quand Ned et Harry étaient entrés dans mon bureau, tout sourire, et une lueur amusée dans leurs regards, je m’étais tout de suite douté que ce n’était pas bon signe. J’avais fait mine d’être très absorbé dans le dossier posé sur mon bureau, mais ça n’avait rien changé.
« Sephian, on a trouvé ce qu’il te faut. »
« Ce dont tu as besoin. »
« Mais! Tu n’en as pas encore conscience! »
« Nous avons deviné à ta place, tu vois? »
Je les avais regardé calmement, mon exaspération n’avait fait qu’augmenter lorsqu’ils avaient commencé à alterner une phrase chacun, ce qui rendait leur comportement encore plus idiot qu’ils ne l’était déjà.
« Et donc... ? »
Le sourire de Ned s’était élargi alors qu’il s’était avancé jusqu’à mon bureau, me tendant un post-it vert fluo. Je l’attrapais, regardant ce qui était écrit dessus. Un numéro de téléphone, écrit au stylo noir, et en dessous, soulignée de deux traits de surligneur bleu un mot : “Pepper”.
« Vous allez devoir m’expliquer là... Quel est le rapport entre mon... Bien-être, du... Poivre? Et un numéro de téléphone? Et arrêtez de sourire comme ça, vous avez vraiment l’air con, les mecs. »
Ils échangèrent un regard et un « On lui dit ou non? » avant d’éclater de rire en cœur, me laissant encore plus désarçonné. Peu importe ce que tout cela signifiait, venant de leur part, ça ne pouvait qu’être une blague stupide. Je fronçai les sourcils, attendant toujours qu’ils sortent de leur fou rire et qu’un des deux me réponde. Harry prit finalement la parole.
« Appelle, et tu verras bien. »
Ils étaient ensuite sortis aussi vite qu’ils étaient entrés, et je n’avais plus fait attention au post-it qu’ils m’avaient apporté, me replongeant dans mon dossier. Jusqu’au lendemain, quand Ned était venu me parler alors que je prenais ma pause café.
« Alors, t’as appelé ? »
« Non. »
« Appelle, allez. Tu nous remercieras plus tard. »
Je m’étais finalement retrouvé dans mon bureau l’après-midi, défiant du regard ce post-it, me demandant si oui ou non je devais appeler. Je n’avais pas vraiment d’idées quant au propriétaire de ce numéro, mais après tout, je ne risquais rien avec un simple appel téléphonique...


Ils n’avaient probablement jamais dû me voir aussi énervé, ou plutôt exaspéré par leur connerie. À croire qu’ils se partageaient un cerveau ces deux-là, toujours fourrés ensemble, au bureau comme à la ville; tous les deux de parfaites représentations du campagnard simplet et un peu lourd sur les bords de l’Idaho - il y avait les mêmes en Alaska, j’avais l’habitude après tout.
« Une call-girl? Vous êtes sérieux? Franchement, je savais que vous aviez des neurones en moins, mais là. Et puis qui vous fait croire que c’est ce dont j’ai apparemment absolument besoin? »
Je les avais coincés dans leur bureau - oui, oui, toujours collés ensemble, à tel point qu’ils avaient insisté pour pouvoir partager un bureau - et mon ton s’était rapidement monté.
« Bah, t’as pas pris rendez-vous alors ? »
« Non, Ned, je n’en ai pas pris. Parce que je ne suis pas le genre à aller voir une call-girl tu vois. Je n’en ai pas besoin. »
« Ah bon? Mais alors pourquoi on t’a jamais vu avec une fille? »
« Tu préfères les hommes peut-être? »
« Oh la ferme, Harry. Vous ne m’avez peut-être jamais vu avec une fille certes, mais ça ne veut pas dire que je n’ai aucune expérience en la matière. Et je ne suis pas non plus désespéré au point de devoir faire appel à une call-girl. »
Ils éclatèrent de nouveau de rire, comme à leur habitude, alors que je m’efforçai de reprendre mon calme. Pourquoi m’énerver autant pour une de leur connerie, après tout?
« Alors là, t’as rien compris, Sephian. Des gens très bien vont voir des call-girls tu sais. Ce n’est pas que les mecs puceaux désespérés. »
« C’est juste pour passer une soirée en bonne compagnie avec une fille, quand la solitude devient trop présente, tu vois? »
Je grommelai un vague “oui, oui” avant de sortir de leur bureau.

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Je me retrouvai là, dans ce bar, mais je n’en avais qu’une envie: partir. Je me sentais bête d’avoir suivi les “conseils” de Ned et Harry, et à chaque seconde qui passait je résistais à l’envie de sortir d’ici. Malgré tout ce qu’ils m’avaient dit pour essayer de me rassurer, je ne me sentais pas du tout à l’aise, me demandant ce qui m’avait pris de venir au rendez-vous convenu par téléphone avec la dénommée Pepper. En y repensant, je me demandais toujours comment j’avais fait pour avoir le courage de rappeler et demander un rendez-vous. J’avais appelé la première fois, et après avoir découvert rapidement - ou plutôt après mille bafouillements - que c’était une call-girl, j’avais raccroché; la deuxième fois - et avec encore un peu plus de bafouillements et plus d’éclaircissements de gorge que nécessaire - j’avais essayé de paraître plus... Décidé? Sûr de moi? Et j’avais proposé ce rendez-vous, dans un bar pour “passer une petite soirée sympathique”. Je soupirai, faisant tourner mon verre entre mes doigts sur le comptoir du bar, regardant une millième fois ma montre. J’étais arrivé en avance, et normalement, Pepper ne devait pas tarder à arriver. Je ne savais même pas à quoi elle ressemblait, mais elle m’avait dit que nous n’aurions pas de nos problèmes pour nous retrouver. Mais qu’est ce que je fous là... J’avalai une gorgée de ma bière, me demandant une fois de plus ce qui m’avait pris pour une décision aussi stupide. Moi, voir une call-girl? Même si ce n’était que pour m’escorter, ce n’était pas mon genre. Et puis merde, est-ce que c’était légal même comme activité? Ma conscience de policier prenait le dessus alors que j’angoissais de plus en plus, mes paumes devenant moites. C’était ridicule; autant mon comportement, ma réaction que cette fichue soirée. Je n’avais qu’à déposer un billet sur le comptoir et partir d’ici avant qu’il ne soit trop tard, et ensuite, haïr Ned et Harry jusqu’à la fin de mes jours pour m’avoir poussé à agir ainsi.