Je ne suis faite que de contradictions. J’ai peur. De tout. De la vie. De la mort. J’ai des troubles obsessionnels compulsifs. Je suis peut-être même un peu folle sur les bords. But God, I’m scared, so scared.
Un rien peut m’angoisser, et mes parents l’ont rapidement remarqué. Enfin, mon père l’a remarqué, ma mère était partie de la maison quand j’avais deux ans et demi, pour aller faire des expéditions sur les glaces de l’Arctique avec un quelconque aventurier finlandais. Tout m’angoissait, que ce soit d’aller à l’école, de lever la main en classe, de répondre à une question ou même tout simplement de prendre la parole. Mon père a vite remarqué que je n’avais pas beaucoup d’amis, que je préférais passer des heures seules à jouer dans le jardin plutôt que d’aller regarder des dessins animés. Et c’est là que le diagnostic est tombé.
Je compte tout et n’importe quoi, ça me rassure. Le nombre de perles sur mon bracelet, le nombre de carreaux au plafond, le nombre d’arbres sur le bord de la route, le nombre de pas que je fais; tout. J’adore tout ce qui touche à la mer, aux rivières, et aux lacs, toutes ces légendes de sirènes, les animaux aquatiques, les bateaux et autres, mais j’ai une énorme phobie de l’eau. Je ne me suis baignée qu’une fois, quand j’étais plus jeune, et j’en ai tellement pleuré que je n’ai jamais voulu réessayer. Quand mes angoisses atteignent leur paroxysme, j’ai même parfois peur d’aller prendre ma douche - et pourtant, je suis obsédée par la propreté. Des contradictions je vous dis.
Avec le temps rien de tout ça ne s’est arrangé. À l’adolescence j’ai sombré dans la boulimie. Mangeant comme quatre, puis enchaînait sur des heures et des heures de sport pour éliminer tout ce que je venais d’ingurgiter - ou en prenant un ou deux laxatifs quand je n’avais pas le courage de sortir faire des tours de piste d’athlétisme (toujours vingt-deux et demi, pas un de plus, pas un de moins.) Et puis mon père, d’origine grecque, a dû déménager en Crète, pour reprendre je ne sais quelle affaire d’un cousin décédé. La Crète. Une île. Entourée d’eau. “Tu vas t’y habituer, ne t’inquiètes pas. Et puis tu ne seras pas obligée de te baigner, ma chérie.” Je l’ai suivi, je m’en fichais un peu, de rester à Londres ou de le suivre dans un pays qui m’était totalement inconnu et dont je ne parlais même pas la langue. Étant dyslexique, ça ne changeait rien de toute façon, je savais que j’aurais tout le mal du monde à essayer de baragouiner un ou deux mots de grec, et en plus, c’était tout un nouvel alphabet à apprendre; comme si je n’avais déjà pas assez de mal à écrire, lire, et même m’exprimer en anglais. J’avais seize ans à l’époque, j’étais toujours boulimique, toujours angoissée, toujours la même, et je débarquai à Mochlos, minuscule village. Il n’y avait pas d’école, et je ne prenais pas de cours par correspondance, mon père avait bien compris que c’était une des sources principales de mes angoisses. Je passais mes journées sur les rochers, à regarder la mer, sans jamais mettre un seul pied dans l’eau, ou bien je prenais la voiture et j’allais me balader dans l’île - les Grecs sont de piètres conducteurs, que j’aie mon permis ou non ne changeait pas grand chose. Parfois mon père devait aller me chercher à des kilomètres du village, à Sitia ou même Héraklion parce que j’étais en pleine crise d’angoisse et que je ne pouvais pas reprendre le volant (parfois c’était juste parce qu’un des boutons d’air conditionné n’était pas dans sa position ‘habituelle’ et je ne pouvais même pas me résoudre à le toucher pour régler le problème.) Il venait me chercher, en soupirant un peu, mais il me souriait toujours. Il comprenait toujours, il ne me demandait pas d’explication. Il n’en demandait jamais quand je passais quinze minutes à me laver les mains, puis deux heures à appliquer du vernis sur mes ongles, consciencieusement et avec application. Il savait que ça me calmait - et que personne n’aurait pu me séparer de l’énorme boîte où je rangeais ma précieuse collection de vernis, changeant de couleur tous les trois jours, sans faute. Il n’en demandait pas non plus quand je mettais parfois plusieurs minutes à répondre à ses questions, cherchant les bons mots, et l’ordre dans lequel il devait aller. Il avait toujours accepté mes TOC, et je l’admirais pour ça. Franchement, à force, je devais être insupportable. Et à chaque fois que je faisais une crise, que je n’en pouvais plus, que je me mettais à pleurer et à crier, il me prenait dans ses bras, et me disait “Ca va aller ma chérie, ça va aller.” Je me demandais à chaque fois ce que j’allais devenir quand il ne serait plus là pour moi. J’étais incapable de vivre seule, de prendre mon indépendance, j’avais besoin de quelqu’un pour m’aider lorsque l’anxiété prenait le dessus, pour me rassurer.
Mais le jour où j’ai rencontré Demetri, je me suis dit que j’avais trouvé cette personne qui pourrait remplacer mon père. C’était une situation des plus clichées. La fille naïve qui perd son foulard dans le vent crétois, et le magnifique jeune homme qui le rattrape et lui donne avec un sourire ravageur. Mais je savais qu’il avait apprécié l’instant autant que moi; je l’avais vu dans son regard, et j’étais douée pour ces choses-là. Dans les moments où je passais plusieurs heures sans parler (alors qu’à d’autres moments, on ne pouvait plus m’arrêter), j’en profitais pour observer les gens, leur comportement, leurs agissements. Comme si comprendre les autres pouvait m’aider à me comprendre un peu moi-même... Il ne parlait pas un seul mot d’anglais, Demetri, et avec mes vagues notions de grec, nous n’en menions pas large au début. “Ευχαριστώ... Oh jeez, I can’t speak a freaking word of Greek. I’m s-sorry, I... Oh dear, I should have at least learned how to say my name. Erm, I-. I’m sorry. Thank you for- for- catching my scarf. I really like you, no I mean, it. Nevermind. Anyway, I-.” Mon accent britannique prononcé l’avait fait rire et même s’il n’avait rien dû comprendre à ma tirade, il m’avait ensuite souri et adressé un signe de la main avant de reprendre son chemin. Et bien évidemment, je l’avais recroisé, Mochlos était un village minuscule, c’était tout à fait normal. Et alors que j’avais rougi comme jamais en l’apercevant sur la petite plage, il s’était approché et avait commencé à me faire la conversation. En anglais. Ca ne devait faire qu’une petite semaine depuis que je l’avais vu pour la première fois, et en aussi peu de temps, il avait réussi à dompter assez d’anglais pour me parler. J’en rougis de plus belle. Je n’avais même pas été fichue d’apprendre une ou deux phrases en grec, et il arrivait comme ça, fier et sublime avec son anglais dont il roulait les r. “Do you want to swim?” Ah. J’aurais dû m’en douter. “Uh, no. I don’t... Swim. I like water, but I’m afraid. It’s a phobia, you know?” J’avais essayé d’articuler du mieux que je le pouvais, pour qu’il me comprenne, mais je me doutais bien que comme souvent, j’avais dû débiter mes mots à la vitesse d’une mitraillette, mon accent ne devant rien arranger. “You’re afraid? I can... Help you?” Je rassemblais toutes mes forces pour lui lancer un sourire, avant de m’excuser. “No, really, sorry, I can’t.” Il me lança pour sa part un de ses sourires ravageurs qui me faisaient perdre tous mes moyens avant de reprendre. “Oh, no problem, Persephone. I can stay on beach with you.” Il ne m’en fallu pas plus pour me faire craquer.
Je ne lui ai jamais proprement dit que j’étais atteinte de TOC, et il ne m’a jamais fait aucune remarque là-dessus. Il m’acceptait comme j’étais, il acceptait toutes mes phobies et crises, et je me demandais comment je pouvais être aussi chanceuse de l’avoir. Son anglais s’améliorait de jour en jour, et il ne se souciait pas du tout du fait que mon grec était toujours aussi misérable. “Ca devient sérieux avec Demetri?” “Papa, dis pas ça comme ça, tu sais bien que ça me fait flipper tous ces grands mots.” Mais je devais bien avouer que ça devenait sérieux. Nous étions ensemble depuis sept ans maintenant, et j’avais l’impression que petit à petit, grâce à la patience de Demetri - et à son charme fou - mes crises se faisaient moins régulières. Tous les symptômes étaient encore là, la boulimie au premier plan, et j’étais pratiquement sûre et certaine qu’elle ne me quitterait jamais, mais mes grands moments d’angoisses se faisaient plus rares, et je me retrouvais de moins en moins obligée d’appeler Demetri pour qu’il vienne me calmer.
“Would you marry me?” La phrase me coupa le souffle. Il avait fait la totale. Le dîner aux chandelles - à la base pour le dîner d’anniversaire de mes vingt-quatre ans - le genou à terre, la petite boîte en velours. J’en ai pleuré tout de suite, je ne pris même pas la peine de me retenir. “Yes, yes, yes, yes!” La période qui suivit sa demande marqua le retour de mes crises. L’échéance du mariage, les décisions à prendre, toute cette pression sur mes frêles épaules me faisaient ressombrer. J’avais l’impression que la demande en mariage de Demetri, qui officialisait pour de bon notre relation, avait brisé tout ce que cette même relation m’avait apporté au fil des années. Mais je ne me rétractai pas, bien trop heureuse pour faire quoi que ce soit. Je vivais dans une petite bulle de bonheur, partagée entre les essais de robe de mariées et les fleurs à choisir. Je changeais d’avis tous les deux jours - plus ou moins, ce n’était pas vraiment fixe et ordonné pour une fois - ce qui exaspérait tout le monde, sauf Demetri, qui ne s’inquiétait pas. Il me faisait confiance, il croyait en moi pour prendre les bonnes décisions, et il ne cessait de me rappeler qu’il était tellement heureux et fier que j’ai dit oui à sa demande et que j’ai pris en charge une partie des préparatifs malgré tous mes problèmes.
La date du mariage était fixée depuis longtemps. 22 juillet 2010.
J’ai embarqué dans un avion pour les États-Unis le 21 juillet 2010.
J’ai paniqué. Plus que jamais. Après mon enterrement de vie de jeune fille - une réussite en compagnie de mes deux meilleures amies crétoises - je ne suis pas rentrée à l’appartement où je vivais avec Demetri. Je suis allée à Mochlos, sur la plage, là où nous avions notre première conversation. Et j’ai pleuré. Pendant des heures et des heures. En silence, si bien que personne n’a fait attention à moi. Je ne pouvais pas le faire. Je ne pouvais pas me marier. Je ne pouvais pas. C’était un trop grand engagement, ça me faisait trop peur. Mais j’avais également trop peur d’aller voir Demetri et de lui dire. Il ne comprendrait pas, après tous ces mois passés à préparer le D-Day. Il me dirait que tout se passerait bien, que je n’avais pas à m’en faire. Mais c’était trop tard. C’était une peur bien trop grande pour que les seuls mots de Demetri ne la fasse partir. J’avais toujours su que j’avais une phobie de l’engagement. Au début de ma relation avec Demetri, j’avais passé des journées entières à me demander si j’agissais comme il le fallait, si je ne faisais pas une terrible erreur. Plusieurs fois, alors même que nous étions ensemble depuis déjà trois ans, je l’avais appelé, lui disant que je ne pouvais pas continuer comme ça, que j’avais trop peur, mais chaque fois il m’avait rassurée. Mais là, ce n’était pas possible. It was our wedding, for fuck’s sake. C’était totalement différent. La seule option qui s’offrait à moi était de fuir.
J’ai réservé un billet sur le premier vol que me proposait le site d’American Airlines. Héraklion-Madrid. Madrid-Boise. Je ne savais même pas où se trouvait Boise. Tout ce qui m’importait c’est que c’était loin, et que je pourrais peut-être me calmer un peu, reprendre mes esprits, et voir ce que je faisais avec Demetri. J’ai pris le premier car que j’ai vu à mon arrivée à l’aéroport après avoir passé l’immigration. Et je me suis retrouvée à Ruby Creek Falls. Dans l’Idaho, comme me l’a appris la réceptionniste de l’hôtel dans lequel j’ai décidé de m’installer pour la nuit.
En allumant mon téléphone portable, j’ai vu que Demetri m’avait appelée quinze fois, m’avait laissé trente-deux messages sur mon répondeur et m’avait envoyé cent-trois sms.
Merde.
J’avais toujours aussi peur.
Mais qu’est ce que j’ai fait? HORS-JEU ; Show us your true colors
...
Prénom & Pseudo : putain, je suis faible, j'ai encore craqué.
Age : XVI (je le fais en chiffres romains, ça change un peu quoi)
Multinicks ? : the irish one, the one who killed his best friend and the one who lost her boyfriend.
Code : ok (eline)
Commentaires : je vais essayer de me calmer après celui-là.