GEMMA DOYLE & JOSEPHIAN NICHOLLS
The Dukes @ 9.20pm

You stood there like a vision before my unbelieving eyes

Cela faisait maintenant deux mois que le glissement de terrain avait eu lieu et que la petite ville de Ruby Creek Falls se démenait toujours pour remettre tout sur pied. Les travaux avaient bien évidemment avancé mais il restait encore beaucoup à faire. Depuis ces deux mois, Gemma vivait chez Jaden Lington, un docteur de l'hôpital et sa vie avait elle aussi prit un nouveau tournant. Elle ne restait plus autant cloîtrée dans sa chambre, à attendre que le temps passe. Cette phase là lui était passée et un jour elle s'était levée après avoir rêvé d'un regard clair, rassurant et réconfortant qu'elle n'avait plus oublié depuis le soir de l'éboulement : celui du policier qui l'avait retrouvée sous les décombres de l'hôpital. Elle ne l'avait plus réellement croisé ni adressé la parole mais son esprit n'avait pas pu l'oublier tant elle voyait en lui son sauveur. Et depuis ce matin là, Gemma était sortie avec la ferme intention de retrouver le jeune homme. Heureusement la ville n'était pas bien grande et elle avait rapidement réussit à localiser l'endroit où il se cachait... Le commissariat. Tous les jours elle se rendait aux heures d'ouvertures devant celui-ci et restait prostrée tranquilement sur un banc, non loin de l'entrée. Elle ne voulait pas attirer l'attention sur elle donc ne bougeait pas; elle se contentait d'observer en silence les allers et venues du grand brun. Et à chaque fois qu'il sortait du commissariat et qu'il apparaissait, le coeur de la jeune fille loupait un battement et la lueur dans ses yeux s'intensifiait. Elle n'avait jamais osé l'aborder, bien trop tétanisée à l'idée de se retrouver face à lui sans savoir quoi lui dire; alors elle restait là et le suivait de temps en temps lorsqu'elle se sentait pousser un élan de courage. A chaque fois qu'elle le voyait, elle revivait avec la même intensité la soirée de l'éboulement. Elle ressentait encore la chaleur de sa paume dans la sienne et lorsqu'elle s'en rendait compte; elle baissait la tête vers sa main et la regardait sans réellement comprendre comment cette force l'avait traversé. Elle se souvenait avoir été tétanisée, elle revoyait encore l'étroitesse de son habitacle et la peur et l'angoisse que le danger lui faisait ressentir. Lui, il était arrivé, l'avait repéré, lui avait tendu la main et ne l'avait plus lâché jusqu'au bout. Ses paroles et son regard l'avaient apaisé et lorsqu'elle se sentait rechuter, elle repensait encore à cette soirée et se sentait mieux. Oui, elle pouvait le dire; il était devenu son ange gardien; avait peu à peu prit la place prépondérante de Shane, qui s'était effacé, mais qui gardait toujours un oeil bienveillant sur elle; elle le sentait; comme s'il regardait de haut son successeur prendre sa place tout en veillant bien à ce que rien n'arrive à la petite brune. Et dans ces moments-là, lorsque ses deux anges gardiens veillaient sur elle, Gemma se sentait revigorée et Jaden voyait bien qu'elle était au meilleur de sa forme. Il lui en fallait peu pour être heureuse, il avait dû s'en rendre compte et aujourd'hui ne dérogeait bien sûr pas à la règle...
Lors de ses petites filatures, Gemma avait entendu Josephian (c'était comme ça qu'il s'appelait) et ses co-équipiers parler d'une soirée au Dukes. Elle, elle avait du demander discrètement à son hôte ce qu'était le Dukes, puisqu'elle n'avait aucune connaissance en matière de bar et autre boîte de nuit et lorsqu'il lui avait répondu, passablement surpris par sa question, Gemma avait feint de ne pas prêter attention plus que ça à sa réponse; mais elle était une si mauvaise menteuse que Jaden avait tout de suite comprit qu'elle était intéressée par l'idée d'aller y faire un tour. Elle n'avait pas comprit le petit sourire qui avait étiré ses lèvres et avait filé dans sa chambre, bien décidée d'aller passer la soirée au Dukes, puisque c'était là-bas que son Joséphian serait ce soir... Elle s'habilla donc rapidement et sortit l'air de rien. Elle n'avait pas l'habitude de faire ça mais s'était sentie pousser des ailes au fur et à mesure d'avoir épié le jeune policier; elle se sentait bien lorsqu'elle était dans le même endroit que lui et était plus que curieuse de le voir évoluer dans un environnement différent de celui du travail...

(...)

Lorsqu'elle arriva devant la porte du Dukes, elle s'arrêta devant et regarda la bâtisse avec de grands yeux. Elle entendait déjà la musique à l'intérieur et les éclats de rire gras des consommateurs ne la rassurèrent pas forcément. Elle hésita à plusieurs reprises à s'en aller; pensant que c'était une très mauvaise idée d'entrer là-dedans puis alors qu'elle commençait à partir, la porte s'ouvrit et un couple sortit du bar avec un sourire aux lèvres. Gemma fut alors comme attirée par la lumière tamisée du bar et elle jeta un coup d'oeil curieux à l'intérieur. La porte se referma mais la petite brune s'approcha doucement de celle-ci et tira sur la poignée. La chaleur du bar lui fouetta le visage et elle fit quelques pas à l'intérieur. Elle leva le regard vers les lumières et s'imprégna de tout ce qui se trouvait autour d'elle avant qu'elle ne se fasse bousculer par un grand gaillard. Celui-ci se retourna et posa une main désolée sur l'épaule de la jeune fille en s'excusant. Elle se crispa automatiquement, trop peu habituée à être ainsi touchée sans prévenir et se dégagea rapidement du jeune homme sans lui adresser un regard. Elle se réfugia un peu plus loin, dans un endroit plus calme du bar et resta dans un coin sans bouger, scrutant tous les visages qui se trouvaient là ce soir. Elle ne connaissait absolument personne, c'était terrifiant. Son coeur s'emballa au fur et à mesure que les rire et éclats de voix des gens s'intensifiaient. Elle avait l'impression qu'ils étaient tous dirigés vers elle, mais soudainement elle n'entendit plus rien et les traits de son visage se détendirent; non loin de l'endroit où elle se trouvait, elle avait repéré un visage particulier, le visage qu'elle était venue chercher ici ce soir et alors elle fut à nouveau comme hypnotisée par l'aura calme du jeune homme. Elle l'observa sans bouger alors qu'il buvait au goulot de sa bouteille de bière. Il semblait content d'être ici, à en juger par le petit sourire qui étirait ses lèvres et Gemma s'approcha doucement, tout en gardant une distance pour que surtout il ne la repère pas. Elle se sentait attirée par lui comme une abeille par du sucre mais lorsqu'après un instant à l'épier doucement; elle vit son regard se poser innocemment sur elle; la jeune fille sursauta légèrement et détourna vivement la tête en se faisant toute petite, espérant pouvoir se cacher derrière les grands corps des garçons qui jouaient au billard. Elle resta ainsi recroquevillée et re-jeta un nouveau coup d'oeil vers lui, vérifiant ainsi s'il l'avait reconnu ou pas...

Vous connaissez cette impression d’être suivi, d’avoir quelqu’un qui vous épie dans votre dos? Mais pourtant, à chaque fois que vous vous retournez pour découvrir l’identité de celui ou celle qui vous suit, vous ne voyez personne, et vous vous dites alors que ce n’était qu’un tour de votre esprit. Ca m’arrivait souvent, ces temps-ci, et peu importe qui me suivait, mais il ou elle devait être du genre très habile, et prompt à se cacher rapidement, car je n’avais jamais aperçu ne serait-ce qu’un seul centimètre de sa personne. Je n’y avais plus vraiment fait attention au bout de quelques jours, mettant ça sur le compte de la fatigue, ou de la culpabilité. Cette culpabilité qui me rongeait toujours autant, même un an plus tard. Ce n’était peut-être pas une personne physique qui me suivait, mais le fantôme de Reed. Je n’étais certes plus dans le même état que celui dans lequel je m’étais trouvé après son enterrement, j’arrivais à contrôler mes émotions, et les quelques crises d’angoisse et de torpeur dans lesquelles je m’étais trouvé à l’époque n’étaient plus qu’un mauvais souvenir. Mais la culpabilité était toujours là, mon terrible secret pesant à jamais sur mes frêles épaules, toujours prêt à m’écraser sous son poids. J’en étais arrivé à un point où je pensais de plus en plus souvent à Reed, chose qui était rare (après tout, j’avais plutôt bien réussi à l’évincer de mon esprit ces derniers mois) et qui ne me faisait tout sauf du bien.
La perspective de passer une soirée au Dukes avec mes coéquipiers me réjouissait. Cela signifiait que j’allais pouvoir mettre un peu mes hantises et fantômes de côté, au moins le temps d’une soirée, et penser à autre chose. Le glissement de terrain avait eu lieu deux mois auparavant, et Ruby Creek Falls se relevait tant bien que mal après la catastrophe. Fort heureusement, le Dukes, le bar local, n’avait souffert d’aucun dégât, et les clients ne cessaient d’affluer soir après soir dans l’ambiance confinée et musicale de l’établissement. Les soirées au Dukes étaient une sorte de ‘tradition’ au commissariat de police. Nous nous retrouvions souvent entre collègues après le travail, mais une ou deux fois par mois, nous y passions toute la soirée, en ressortant passablement alcoolisés, mais toujours dans la bonne humeur.

La soirée tant attendue était enfin arrivée et je l’abordais en essayant de faire le plus possible le vide dans mon esprit. C’était l’occasion rêvée pour moi de chasser Reed de mon esprit, et de passer à autre chose - du moins jusqu’au prochain évènement qui raviverait son souvenir. Les conversations allaient bon train, les bouteilles de bière consommées également, et les anecdotes flottaient dans l’air. Tout le monde avait quelque chose à raconter, que ce soit de son expérience passée ou de son expérience à Ruby Creek Falls. Je racontai une ou deux histoires de Kotzebue, essayant le plus possible d’empêcher à tout souvenir de Reed de pénétrer dans mon esprit alors que je les racontai. Mais alors que je buvais une gorgée de ma bouteille de bière, j’eus de nouveau cette étrange sensation d’être observé et je me maudis moi-même d’avoir raconté ces histoires de mon passé en Alaska, elles n’avaient fait que raviver la présence du fantôme de Reed. Je secouai la tête, parfaitement conscient du fait que tout ce que je me disais n’était que superstitions et pour tout dire, un paquet de conneries. Je décidai plutôt d’observer calmement les personnes présentes au Dukes, qui sait, peut-être découvrirai-je enfin le visage de la personne qui m’avait suivie ces derniers jours?

Et là, dans un coin du Dukes, près du billard, une silhouette attira mon attention. Elle détourna rapidement le regard, comme pour éviter d’être remarquée, et je fronçai les sourcils, avant de reconnaître de qui il s’agissait. Un mince sourire s’étira sur mes lèvres. Je ne l’avais pas revue depuis que je l’avais sauvée lors du glissement de terrain, et je ne connaissais même pas son nom. J’avais demandé de ses nouvelles rapidement, et on m’avait assuré qu’elle allait bien et qu’elle s’en était sortie sans trop de séquelles. Je ne m’étais plus trop inquiété pour elle, ravie de savoir qu’elle était désormais en pleine forme et hors de danger. Mais j’avais ce soir-là l’occasion d’aller lui parler, lui demander de ses nouvelles. Nous n’avions pas vraiment eu l’occasion de faire connaissance lors du glissement de terrain, elle était en état de choc et j’avais autre chose à faire que de lui raconter ma vie - comme la sauver, par exemple. Je m’avançai vers elle, ma bière à la main.

« Heureux de voir que tu te portes bien depuis l’éboulement! »

Je lui adressai un sourire, alors qu’elle me fixait d’un air mi-supris, mi-éberlué, puis lui tendit la main.

« Je n’ai pas vraiment eu l’occasion de me présenter la dernière fois... Josephian, enchanté. »

La soirée prenait une tournure que la jeune fille n'avait pas envisagé. Toujours à demie-cachée entre deux grands gaillards qui jouaient au billard; elle sentit son coeur battre avec intensité dans sa poitrine. Le regard clair du jeune policier avait croisé le sien et maintenant, elle ne savait pas ce qu'elle était censée faire. Tout l'été elle avait réussit à le suivre sans se faire remarquer; pas une seule fois elle n'avait été démasquée alors qu'elle l'avait suivit dans des endroits abracadabrants où il aurait très bien pu la voir et voilà que ce soir, sa couverture venait de tomber comme un chateau de cartes. Comment avait-elle pu se faire repérer alors que le bar était plein à craquer? Rapidement, Gemma prit la décision de se faufiler vers la sortie, espèrant encore pouvoir s'échapper sans trop de dommages, mais lorsqu'elle amorça un pas sur la droite, la grande silhouette du policier se dressa devant elle et elle eut un petit hocquet de surprise. Son coeur cessa de battre un instant alors qu'elle restait là, hébétée devant le jeune homme; prise sur le vif, la main dans le sac, en flagrant délit... « Heureux de voir que tu te portes bien depuis l’éboulement! » l'entendit-elle dire avant qu'un petit sourire n'étire ses fines lèvres. Gemma ne sut quoi répondre tant les choses se déroulaient de manière étrange pour elle. Elle avait toujours vécu seule, avec ses rêves, ses idées, ses démons, ses folies et ce genre de scènes ne se déroulaient généralement que dans sa tête... Il arrivait que le garçon, l'objet de son imagination -et surement de ses désirs-, vienne la voir; mais elle finissait toujours par s'échapper et revenir sur terre, réalisant enfin qu'elle n'avait fait qu'imaginer tout cela. Ses délires de schizophrène pouvaient être très réels, tellement même qu'elle s'y perdait parfois, à ne plus savoir ce qui était la réalité de ce qui n'était que pure imagination mais ce soir, elle savait pertinnement qu'elle était dans la réalité. Le Dukes était bien trop détaillé et réel pour qu'elle ne l'ai conçu elle-même; elle était imaginative mais pas suffisamment pour créer ce lieu de toute pièce; ni même toutes ces personnes d'ailleurs; des visages qu'elle ne connaissait pas, des voix qu'elle ne reconnaissait pas non plus, de la musique qu'elle n'avait jamais entendu; non, c'était bien trop vivant, vibrant, pour que ca ne sorte de son imaginaire. Et c'est pour ça qu'elle était totalement perdue; elle n'avait aucun point de repère ni ne savait comment réagir. C'était la première fois qu'elle sortait à Ruby Creek Falls, et seule qui plus est, alors elle se contenta d'hocher imperceptiblement la tête en sentant le rouge lui monter aux joues; redoutant à tout instant qu'il ne lui dise de le laisser tranquile. Il aurait pu et aurait eu raison de le faire mais pourtant ce fut bien d'autres mots qui franchirent sa bouche:

« Je n’ai pas vraiment eu l’occasion de me présenter la dernière fois... Josephian, enchanté. » enchaîna t-il tout naturellement en lui tendant la main.

Mais à nouveau, la jeune fille ne réagit pas; pire, elle sembla même encore plus sous le choc, si c'était encore possible d'ailleurs. Elle baissa les yeux vers la main que Josephian lui présentait; celle qu'il lui avait également tendue, deux mois plus tôt et qui avait suffit à Gemma pour qu'elle se sente tout de suite rassurée et protégée par dieu sait quelle force. Elle ne sut pas bien comment réagir et les éclats de voix qui s'élevaient autour d'elle ne lui facilitait pas la tâche; elle avait beaucoup de mal à se concentrer et à faire la part des choses tant son esprit était sollicité de tous les côtés par les rires, les haussements de voix, la musique et autres bruits qui animaient le bar. Elle pouvait presque sentir l'angoisse que représentait cette soirée se matérialiser dans le creu de son ventre et après avoir jeté un petit coup d'oeil peu rassuré autour d'elle; elle se décida enfin à attraper la main du jeune homme; comme si son contact plongerait la salle dans un silence absolu, comme si grâce à cela, elle pourrait faire abstraction de tout le reste. Après tout, c'était ce qui s'était passé lors de l'éboulement:

« Gemma » dit-elle d'une toute petite voix alors que leurs deux mains étaient toujours soudées l'une à l'autre et qu'elles effectuaient de petits mouvements de haut en bas.

Elle ne fut pas certaine qu'il ai entendu mais elle ne répéta pourtant pas, préférant se focaliser sur la sensation étrange et agréable qui lui picottait le ventre et la chaleur intense qui lui réchauffait le visage. Après un moment que le jeune homme dut juger un peu trop long; il retira sa main et Gemma le laissa faire, récupérant la sienne et la cachant dans sa deuxième pour que la chaleur de celle-ci ne s'évapore pas. Elle la garderait jalousement auprès d'elle aussi longtemps qu'elle le pourrait, comme le feu sacré, comme une lumière qui menace de s'éteindre si on n'y prête pas attention. Elle releva finalement les yeux vers le jeune homme et se pinça les lèvres, réalisant soudainement que son geste pouvait paraître bizarre. Et s'il y avait bien une chose que la jeune fille ne voulait pas, c'était que Josephian comprenne qu'elle était folle et qu'il ne la laisse en plan, prétextant devoir rejoindre sa bande de copains. Il ne pouvait plus l'abandonner maintenant qu'il était venu la voir, n'est-ce pas?

« Je suis désolée si je t'ai mis mal à l'aise... Je ne voulais pas mais je, j'avais besoin de savoir si tu étais vraiment réel ou si je t'avais inventé alors je t'ai suivi, je suis désolée » lui avoua t-elle enfin.

Gemma avait tendance à dire ce qui lui passait par la tête le plus naïvement et innocemment qu'il soit, sans vraiment faire attention si ca avait un sens pour les autres ou si elle réalisait ce qu'elle disait.. Pour elle, c'était tout à fait clair dans sa tête mais elle avait du mal à comprendre que la plupart des gens pensaient différemment d'elle; ou plutôt qu'elle pensait différemment des autres personnes. Le Dr Waibel l'avait pourtant déjà mise en garde sur ça, lui expliquant, lors de sessions à l'hôpital, qu'elle seule pouvait savoir ce qu'elle pensait et qu'il lui fallait expliquer le fil de ses idées à son interlocuteur pour que celui-ci comprenne. Là, en l'occurence, le jeune homme fut désarçonné ou surpris par sa réplique, à en juger par le petit haussement de sourcils surpris qu'il eut, mais ça, Gemma ne s'en rendit compte qu'après avoir parlé et elle ferma alors la bouche en baissant le nez vers la pointe de ses baskets, rouge de honte et attendant docilement ce qu'il pourrait répondre à son aveu... Elle venait de mettre fin à sa filature en une seule phrase...

Sa voix n’était qu’un murmure étouffé dans la cacophonie du Dukes, mais je parvins tout de même à comprendre son prénom. “Gemma.” Elle avait l’air apeurée, et son regard évitait le mien dès que c’était possible. À vrai dire, elle m’avait l’air tout aussi effrayée que lorsque je l’avais trouvée après l’éboulement - sans tout le traumatisme et la peur rajoutés par la catastrophe, bien évidemment - et j’en étais étonné. Peut-être n’avait-elle pas l’habitude de venir au Dukes et de côtoyer du monde? Elle était peut-être agoraphobe ou bien extrêmement timide, cela pouvait expliquer pourquoi elle avait essayé de se cacher, sans y parvenir, dans un coin du bar, et paraissait totalement désemparée depuis que je l’avais abordée. Je commençais à me demander si je n’en avais pas trop fait, mais après tout, je n’aurais pu en aucun cas prévoir sa réaction. Nos mains se séparèrent, et je remarquai rapidement qu’elle enferma immédiatement sa main droite dans sa main gauche, je n’y prêtai pas plus attention que cela, après tout, c’était sûrement pour occuper ses deux mains dont elle ne savait que faire qu’elle agissait comme ça. Un bref silence suivit, et elle reprit finalement la parole, dans ce même souffle timide qu’elle avait utilisé quelques minutes plus tôt pour me dire son prénom. « Je suis désolée si je t'ai mis mal à l'aise... Je ne voulais pas mais je, j'avais besoin de savoir si tu étais vraiment réel ou si je t'avais inventé alors je t'ai suivi, je suis désolée. » Oh. C’était peut-être pour ça qu’elle avait l’air étonnée et mal à l’aise alors? Elle m’avait pris pour une création de son imagination, et était quelque peu désarçonnée de me revoir ici, plusieurs semaines après l’éboulement. Je notais toutefois le fait qu’elle m’avait suivi, habitué à accorder à chaque mot son importance, et je ne savais pas trop qu’en penser. Elle m’avait suivi pour se persuader que j’existai, que je n’étai vraiment réel, que je l’avais vraiment sauvée ce soir-là... Elle me faisait passer pour une sorte de héros en fin de compte, et je ne pouvais m’empêcher de penser qu’elle se trompait. Je n’étais pas un héros, loin de là. Je n’avais fait que mon travail ce soir-là, je n’étais qu’un gars normal passant une soirée dans un pub d’un village isolé de l’Idaho, et j’étais tout sauf un héros, tout sauf quelqu’un que les gens admirent. Je vivais avec une culpabilité omniprésente, et une petite voix dans ma tête me rappelait tous les jours, que je le veuille ou non, que j’étais un criminel, un assassin. Alors, non, je n’étais décidément pas un héros. Mais je ne comptais pas me lancer dans un démenti, après tout elle n’avait même pas émis le terme, tout cela n’était que le fruit de mes conclusions hâtives et guidées par ma culpabilité. Je chassai ces pensées de ma tête, me concentrant sur le côté positif de la chose. Ainsi elle m’avait suivi, tout indiquait donc que c’était elle, la personne que j’avais sentie épier chacun de mes faits et gestes ces derniers jours, et non un quelconque fantôme du passé. J’avais l’impression qu’on m’avait ôté un poids invisible, ravi de savoir que maintenant que l’identité de mon ‘filateur’ était dévoilée, mon esprit ne serait plus aussi occupé par des souvenirs de Reed.
Elle s’était excusée de m’avoir suivi, et au fond de moi, je ne pouvais m’empêcher de penser qu’elle n’avait aucune raison de le faire. Son comportement pouvait apparaître comme fou, ou insensé, mais après tout, n’étais-je pas celui qui avait cru être suivi par le fantôme de son meilleur ami décédé? Mon sourire s’élargit à cette pensée, et je lui répondis, alors que son regard était vissé sur ses chaussures, comme si elle était honteuse de son aveu.

« Ne t’inquiètes pas pour ça, ce n’est pas grave. Tu ne m’as pas du tout mis mal à l’aise... »

Gemma releva doucement la tête, les joues toujours rougies par la honte. Son regard avait toujours une petite lueur intimidée, et je m’efforçai de parler doucement, pour ne pas l’effrayer encore plus - même si je me demandais toujours pourquoi elle réagissait ainsi, après tout, il n’y avait aucun raison pour elle d’avoir peur.
« Et je n’ai fait que mon travail ce soir-là, c’était tout à fait normal. Mais je peux comprendre que tu te sois demandé si j’existais réellement ou non, tu as dû être pas mal chamboulée par l’éboulement, tes souvenirs étaient sûrement confus. Alors vraiment, ne t’inquiètes pas pour ça, je comprends tout à fait. Et maintenant que tu m’as serré la main, tu peux être sûr que j’existe pour de bon! »

Je rigolai doucement, remarquant que son regard se faisait légèrement moins méfiant. Je bus une gorgée de ma bière, remarquant alors qu’elle n’avait aucune consommation.

« Je te paye un verre? Je vois que tu n’as rien pris encore. »

Elle me fixa intensément, comme si elle se demandait encore si j’étais réel ou non, mais remarquant que je croisais son regard, elle détourna les yeux. Je décidai ensuite de dévier la conversation sur des banalités, peut-être serait-elle alors plus à l’aise.

« Tu viens souvent au Dukes? Je ne t’ai jamais vue par ici il me semble. »

A vrai dire, je ne l’avais jamais vue non plus dans la ville, ou que ce soit. Peut-être ne sortait-elle pas souvent, et était vraiment timide, comme je l’avais pensé quelques minutes plus tôt, et cela au point de ne sortir que très peu?

Comment décrire ce qui se passait dans la tête de la jeune fille à cet instant alors qu'elle se tenait face au jeune homme qu'elle avait épié tout l'été? C'était un mélange d'appréhension, de peur, de béatitude et d'angoisse qui faisait battre son coeur aussi vite. Elle aurait voulu trouver un endroit étroit, sombre et calme où elle aurait pu se terrer un instant, juste le temps de reprende le contrôle de ses émotions et de reprendre ses esprits mais c'était bien évidemment impossible à faire. Elle ne pouvait pas quitter Josephian et se réfugier sous la table de billard, il verrait tout de suite qu'elle avait un problème et la prendrait pour une folle; or c'était bien ça qu'elle voulait éviter. Pour une fois, elle voulait que quelqu'un dans cette ville ne sache pas qu'elle était fragile psychologiquement, était-ce trop demandé que d'avoir une relation normale avec quelqu'un? Et pourtant, alors que le jeune policier lui parlait, le regard noisette de la jeune fille fuyait régulièrement vers le billard, les tables ou un endroit sûr vers où elle aurait pu s'échapper. Il y avait beaucoup trop d'agitation et de brouhaha autour d'elle; bien trop même, alors que l'échange qu'elle avait avec le jeune homme était plus posé et doux. Mais pourquoi fuirait-elle? Pourquoi faire? N'était-ce pas ce qu'elle avait espéré, dans ces rêves les plus tordus? Que son policier vienne la voir pour discuter et prendre le temps de la connaître? Si, c'était même exactement ça qu'elle voulait; mais maintenant que c'était chose faite; voilà que la jeune fille se sentait totalement submergée. Comment était-elle censée réagir le plus normalement possible à une situation qui la dépassait totalement? Le son de la voix chaleureuse et posée de Josephian avait tout de même le don de la calmer et c'est bien parce que c'était la seule chose douce et sereine du bar que Gemma se battait contre elle-même pour ne pas fuir; sans le calme du jeune homme, il était sûr qu'elle ne parviendrait pas à rester ici, dans cet endroit. Elle se demandait même pourquoi quelqu'un d'aussi posé que lui venait dans un endroit aussi sauvage que celui-ci; mais elle n'eut pas le temps de réfléchir plus longtemps sur la question car il lui assura qu'elle ne l'avait pas mis mal à l'aide à le suivre ainsi comme son ombre durant trois mois; c'était une bonne chose! Elle releva un instant les yeux vers lui lorsqu'il continua de lui expliquer comment il avait percu les choses.. et elle hocha la tête, acquiescant à tout ce qu'il disait sans chercher à comprendre plus loin. Tout ce qu'elle retenait, c'était que son état psychologique n'avait apparemment pas alerté ou rebuté le jeune homme et c'est donc moins méfiante qu'elle lui offrit un léger sourire; ne craignant plus qu'il s'énerve soudainement après elle. Elle baissa d'ailleurs un instant la tête lorsqu'il la regarda à nouveau dans les yeux en buvant dans son verre. « Je te paye un verre? Je vois que tu n’as rien pris encore. » l'entendit-elle lancer après qu'il eut fini de boire. Les grands yeux chocolat de la brunette s'écarquillèrent soudainement alors qu'elle relevait peut-être un peu trop brusquement la tête. Son regard fut d'emblée attiré par les tableaux qui indiquaient les prix de chaque boisson et elle sentit à nouveau le rouge lui monter aux joues lorsqu'elle se rendit compte ne connaître aucune boissons inscrites sur les tableaux noirs... Où étaient les jus d'orange, de pomme et autre Coca-Cola? La bouche à demie-ouverte, elle scanna rapidement la liste de boissons lorsqu'enfin un sourire rassuré étira ses lèvres. Elle regarda donc à nouveau le jeune policier puis hocha la tête:

- Je veux bien un -- Elle regarda à nouveau le tableau et plissa un instant les yeux, s'assurant ainsi de bien prononcer correctement le nom de la boisson, un coca-cola cock. lut-elle avec un sourire amusé aux lèvres.

Avait-elle conscience qu'elle venait de commander une boisson alcolisée? Absolument pas, mais à nouveau, comment aurait-elle pu savoir que ce coca-cola contenait du gin? Ca n'était écrit nulpart.. Le jeune policier prit note de sa commande mentalement puis la jeune fille le vit faire un demi-tour sur lui-même avant de s'en aller. Elle resta un instant pantoise, se demandant ce qu'elle avait dit pour qu'il s'en aille et la laisse en plan; puis lorsqu'il jeta un coup d'oeil par dessus son épaule, l'air visiblement intrigué, la jeune fille comprit qu'elle était censée le suivre. Elle réagit enfin puis se faufila entre les clubbers en en touchant le moins possible. Elle avait suffisamment à gérer entre le capharnum qui vrillait ses oreilles peu habituées à tant de bruit et la présence de Josephian qui la rendait nerveuse et extatique à la fois. Arrivés au comptoir du bar, la jeune fille vit Josephian se glisser entre deux consommateurs et passer rapidement commande; elle, se tenait derrière lui, l'observant en douce alors qu'il discutait brièvement avec le barman; ce n'est qu'après un petit moment qu'elle se rendit compte que son coeur ne battait plus à tout rompre dans sa cage thoracique, il semblait qu'il s'était calmé, qu'il avait été comme apprivoisé ou tout du moins qu'il s'était fait à la présence et à l'effet qu'avait le jeune homme sur lui. Gemma posa la main qu'elle avait gardé précieusement contre elle depuis cinq bonnes minutes contre sa poitrine et ferma les yeux, un sourire aux lèvres, écoutant et se laissant bercer par les battements calmes et réguliers de son coeur: « Tu viens souvent au Dukes? Je ne t’ai jamais vue par ici il me semble. » Elle sursauta légèrement et ré-ouvrit les yeux lorsqu'elle entendit à nouveau la voix du jeune:

- Non, c'est la toute première fois que je viens; j'ai du demander à Jaden de me dire où c'était parce que je ne suis jamais venue dans ce coin-là avant. Ce n'est pas vraiment le genre d'endroits où j'ai le droit d'aller d'ailleurs; mais j'avais envie de venir aujourd'hui quand même; alors je ne l'ai dit à personne comme ça, je n'aurais pas de problèmes en rentrant, répondit-elle en partant du principe que Josephian connaissait déjà toute sa vie. Mais Jaden est gentil, c'est pas lui que je redoute, c'est plus Mademoiselle Ally; même si je ne l'ai pas vraiment revue depuis l'éboulement puisque j'habite chez Jaden.

Elle se tut aussi vite qu'elle avait pris la parole, se rendant compte avec un mélange d'effroi et d'incompréhension qu'elle n'avait aucune difficulté à parler avec Josephian, à lui sortir des petits romans alors que le Dr Waibel avait encore parfois du mal à lui faire raconter ses journées. Gemma se redressa légèrement puis se pinça les lèvres, un petit air ravi et canaille faisant briller ses yeux d'habitude si ternes. Elle était fière d'elle, très fière même et elle n'avait maintenant plus qu'un seule hâte; aller raconter à sa psychologue cette soirée et lui montrer qu'elle pouvait être fière d'elle, elle aussi parce qu'elle avait fait des progrès énormes. La Gemma d'il y a 1 an n'aurait jamais été parler à un inconnu; mais Josephian avait quelque chose; dégageait quelque chose qui mettait la petite brunette en totale confiance...

Gemma écarquilla les yeux lorsque je lui demandai ce qu’elle voulait boire, avant de scruter d’un air intrigué les tableaux où étaient marquées les consommations disponibles au Dukes. “Je veux bien un- Coca Cola Cock.” m’avait-elle finalement répondu. Son regard était hésitant et contrastait avec le sourire qui planait désormais sur ses lèvres. Ce devait être la première fois depuis que je l’avais abordée que je la voyais sourire et perdre cet air effrayé que je lui connaissais. Je fis demi-tour sur moi-même, prenant la direction du bar tout proche afin de récupérer la boisson que souhaitait Gemma. Je me retournai au bout de quelques secondes, ne sentant la présence de personne dans mon dos, ce que je trouvais plutôt bizarre. Elle m’observait, un air intrigué désormais plaqué sur son visage, ne semblant pas vraiment savoir quoi faire. Elle finit tout de même par s’avancer, se faufilant parmi la foule, et me rejoignant finalement au bar. Je passai sa commande, échangeant quelques banalités avec le barman avant de reporter mon attention sur elle, lui demandant si elle voulait souvent au Dukes. Elle se lança alors dans un monologue, c’était le cas de le dire, m’expliquant tout d’abord que non, elle ne venait pas souvent, c’était même la première fois qu’elle venait ici. Mais elle enchaîna ensuite sur un certain Jaden, qui lui aurait indiqué l’endroit, avant de dire qu’elle n’avait pas le droit de venir, mais qu’elle ne craignait rien. Ou peut-être avait-elle dit qu’elle craignait quelqu’un, justement, une certaine Mademoiselle Ally? Je ne savais plus trop. Avec la cacophonie du bar et la rapidité avec laquelle elle avait pris la parole, me déballant toute sa tirade, je n’avais pas pu tout assimiler, et je la regardais d’un air interloqué, essayant de trouver un sens à tout ce qu’elle venait de me dire - si toutefois il y en avait un. Son regard était brillant et un air ravi s’affichait sur son visage, alors que j’essayais toujours de comprendre. Je fus interrompu par la voix du barman qui posa la boisson de Gemma sur le comptoir. J’interrompis ma réflexion, me retournant pour prendre le Coca Cola Cock et poser un billet de dix dollars sur le comptoir. Mais au moment où j’allais tendre sa boisson à Gemma, et lui proposer d’aller s’asseoir dans un des boxes du Dukes, je me stoppai net dans mon mouvement. C’était la première fois qu’elle venait, dans cet endroit où elle n’avait pas le droit d’aller... Et elle ne l’avait dit à personne, craignant d’avoir des problèmes... Surtout avec cette Mademoiselle Ally, dont le nom me disait quelque chose - je crois bien qu’elle l’avait déjà mentionnée lors de l’éboulement. Et la façon dont ses yeux s’étaient mis à briller après que j’ai passé commande, tout comme l’hésitation, que j’aurais peut-être pu qualifier de fébrile vu comment elle avait pris son temps pour indiquer son choix, qu’elle avait eue avant d’annoncer ce qu’elle voulait boire. Sans oublier comment elle avait hésité à me suivre jusqu’au bar, comme si... Non, ce n’était pas possible. Pourtant, tout concordait. Son comportement n’avait cessé d’être étrange depuis que je l’avais aperçue dans le bar. Parmi toutes ces petites choses qui m’avaient amené à cette déduction, la plus importante était le fait qu’elle avait l’air mal à l’aise dans le bar. Non pas qu’elle n’avait pas l’air à sa place, non, elle avait juste l’air de quelqu’un qui ne devrait pas être là et qui n’aspire qu’à une autre chose, partir de l’endroit où il se trouve le plus rapidement possible.
Je m’étais laissé dominé par mes habitudes de policier, allant d’indice en indice, ni trop vite, ni trop lentement, pour arriver à ma conclusion. Conclusion qui me laissait plutôt dubitatif et surtout hésitant. J’avais toujours le verre de Gemma dans une main, ma bière à moitié vide dans l’autre, alors qu’elle ne cessait de me regarder d’un air joyeux. Je fronçai les sourcils, avant d’avancer imperceptiblement vers elle et de lui murmurer - aussi bas que le bruit régnant au Dukes ce soir-là me le permettait - quelques mots.

« Tu es sûre que tu n’auras pas de problèmes? Je ne veux pas te mettre dans une situation... Épineuse, tu vois. Je veux dire... Est-ce que ce... Jaden ou Mademoiselle Ally te... »

Je soupirai, baissant la tête d’une façon mélodramatique. Il n’y avait qu’une seule façon de se sortir de cette situation. Si je voulais savoir à quoi j’avais réellement affaire, et surtout à qui, je n’avais qu’à lui demander.

« Rassure-moi, Gemma, tu n’es pas une ex-alcoolique? »

J’avais parlé encore plus bas qu’avant, pas par crainte que les gens autour nous entendent, ils étaient bien trop absorbés dans leurs propres conversations, mais plutôt parce que je n’étais même pas sûr à 100% de ce que j’avançais, et que j’avais peur de passer pour un imbécile qui aurait sauté trop rapidement sur une conclusion. Et ce serait un comble, vraiment. Il en existe beaucoup, des policiers qui font des erreurs, bien évidemment. Mais me ridiculiser dans une telle situation en ayant eu pour seul fondement à toutes mes suspicions le comportement bizarre de Gemma serait vraiment bête. J’espérais seulement ne pas lui avoir faire peur avec mon accusation - car c’était vraiment ce que c’était. Après tout, elle m’avait semblé s’ouvrir petit à petit, minute après minute, passant d’un visage fermé à un large sourire, comme si une certaine confiance s’était établie entre nous, ou du moins comme si un pan de son apparente timidité était tombé. Je décidai d’ajouter quelques mots de plus, pour tenter de la rassurer, voyant que la lueur dans ses yeux s’était déjà affaiblie.

« Ce n’est pas parce que je suis policier que tu auras des problèmes, tu sais. Tu peux me le dire. Ou tu peux très bien ne pas me le dire également, je comprendrai. »

Je m’étais enfoncé dans des explications confuses - presque aussi confuses que celles qu’elle m’avait donné deux minutes auparavant (bon, peut-être moins tout de même). Je bus une gorgée de ma bière, histoire de me redonner un peu de consistance. À ce stade, je savais que je ne saurais même pas étonné si elle m’annonçait que la théorie que j’avançais était totalement fausse; plus les minutes passaient, plus elle me semblait bancale. Je gardai tout de même à l’esprit qu’ex-alcoolique ou non, Gemma avait eu un comportement des plus étranges pour quelqu’un de son âge se trouvant au Dukes un samedi soir.