Everybody in the sky will dance and sing
Mon ami Johnny a une théorie selon laquelle un individu n'existe pas tant qu'il n'a pas de page Myspace. Ainsi, celui qui en a plusieurs existe encore plus, il vit, parce qu'il a une bonne raison de se faire une deuxième page : il a un groupe. Je me souviens de ses yeux pétillants de bonheur lorsque nous, les 4 jeunes hommes que nous étions, nous sommes aglutinés autour du vieux macbook de Vijay pour exister un plus. Guillermo tenait son appareil photo contre sa poitrine, attendant le moment où il pourrait nous shooter, puis balancer nos gueules de beaux gosses sur notre page.
Ca parait anodin, un groupe de jeunes musiciens pas spécialement bons parmi d'autres, qui créé sa page Myspace pour accéder au succès. Il faut avouer que nos compétences musicales étaient plus que limitées, nous avions du mal à lire une partition, à jouer des morceaux célèbres, contrairement à nos concurrents. Seulement, nous avions la détermination en plus. Nous avions de belles gueules, nous luttions contre le racisme et pronions la diversité en mettant Vijay, l'indien, et Guillermo, le chicano, en avant sur la scène. Sûr qu'on allait faire le buzz.
On laissa à Johnny l'honneur de créer la page, en se réservant tout de même le droit d'intervenir, de gueuler, et d'arrêter l'ordinateur en urgence si les décisions prises nous paraissaient injustes. Après deux heures d'engueulades, de solos de guitare, de séance photo, de grimaces à l'appareil, de paires de fesses montrées à la fenêtre du petit studio, et de nombreuses bières ouvertes, je crois que la page a enfin été créée. S'en est suivi un long speech de la part de Johnny, comme quoi les "The Supersonics" étaient nés.
- Nous sommes les Beach Boys du métro.
- D'accord, mais je veux pas finir comme Dennis.
Et Johnny, perdant son sérieux, se mit à imiter un Dennis Wilson bourré, se noyant dans l'eau bleue de l'océan pacifique. Vijay est venu sauter sur son dos, le noyer un peu plus, pendant que Guillermo jouait Surfin' USA, tappait du pied, frappait sur guitare en espérant faire vibrer les murs du vieil immeuble où nous jouions. Je fredonnais les paroles, calme, avachi dans un fauteuil vieux de 50 ans récupéré dans une rue. J'avais l'air impassible mais j'étais heureux. Ma mine inspirait "Alright" de Supergrass.
Et à nos débuts, notre musique était surtout faite de délire. Nos chansons racontaient notre vie : les coups d'un soir de Guillermo, les diners strictes chez les parents de Vijay, mon accent français source de moquerie, et les longs et habituels discours de Johnny. Les mélodies semblaient nous tomber du ciel comme des fientes de pigeon, et nous avaient permis de fidéliser plusieurs dizaines, que dis-je, centaines de fans. Nous étions meilleurs que The Libertines mais le monde ne le savait pas encore.
Nous avions notre petit studio dans un vieil immeuble de Camden High Street. Nous avions pris l'habitude d'amener notre duvet et notre oreiller, de montrer nos fesses à la fenêtre, de sortir la nuit et de défier les punks près des écluses. Guillermo est tombé dans l'eau, et je crois que je fus le seul à rester sur le bord, parce que j'avais peur de me mouiller. Après quoi on m'a traité de sale français et je n'ai eu qu'à offrir un verre à mes amis pour que tout soit oublié. Ils ont du mal à comprendre que je suis un minet, que mes fringues sont des prada, et que je reste le plus beau du groupe. Ce n'est pas pour rien qu'on m'a mis à la guitare, qu'on m'a laissé un peu dans l'ombre du chanteur : c'est pour que les filles crient mieux mon nom, pour ajouter du mystère. Je suis le petit français du groupe, et dieu sait combien les français sont plus chics que tous les autres.
Et puis merde, Guillermo sait nager.
Aussi bizarre que ca puisse paraitre, un producteur nous a contacté. Sa fille de 18 ans lui a fait écouter une de nos démos, a enchainé avec notre reprise de Blue Suede Shoes, où pour la seule et unique fois, les mecs m'ont laissé le droit de chanter. Nous avions même tourné une petite vidéo, j'avais ouvert le col de ma chemise d'habitude si bien fermé, et j'avais fait mon show, l'espace de deux petites minutes. Enfin, ce type a insisté pour nous rencontrer. Il se la pétait, dans son immeuble en plein Londres, s'habillait comme Phil Spector et fumait le cigare. Les mecs et moi nous faisions petits, rentrions la tête dans nos épaules, intimidés par tant de luxe, de petits soins. Nous étions les prochains Ramones, d'après lui, et il était près à nous signer un contrat, à nous adopter, à nous loger à l'hotel et à nous payer notre came, histoire que nous n'allions jamais voir ailleurs.
N'importe quel con aurait dit oui. Nous, nous avons dit oui, mais on a aussi demandé au mec de nous payer une mercedes. Chacun.
Le contrat stipulait qu'après la sortie de notre premier album, nous partirions en tournée dans le monde entier. L'album se vendait déjà dans le monde entier, nous avions refusé de tourner des clips et restions de jeunes hommes humbles. S'il fallait être les nouveaux Ramones, nous voulions garder leur côté old school, leurs fringues, les chansons à la radio. On s'est pris au sérieux, on a bossé dur pour pondre de bons morceaux. J'ai fait du solfège pour la première fois de ma vie.
On commencait par un tour de l'Europe, entre Londres, Liverpool, Paris, Amsterdam, puis Berlin, et enfin Francfort. Les salles étaient plus grandes, la foule plus en délire. On avait beau se tromper régulièrement dans nos accords, l'ambiance n'en était pas moins forte. J'avais insisté pour qu'on aille s'acheter nous-même nos t-shirt du groupe. Nous avions fait nos groupies en voyant une photo de nous dans un magazine allemand. Tout semblait irréel.
La tournée s'est poursuivie aux Etats Unis. Le producteur eu beau insisté pour nous payer un jet privé, les mecs et moi étions tombés d'accord : un vrai tour des States devait se faire en van, le sac sur le dos pour les mecs, et ma valise Vuitton à la main. Boston, New York, Georgetown, Miami, puis Nashville et Colorado Springs. Nous étions en route vers Seattle, après un concert interminable à Colorado Springs, devant une foule chantant avec nous, comme si elle en avait écrit les paroles. La route 84 devait nous amener dans l'état de Washington, seulement ca avait été sans penser à la possibilité que le van tombe en panne. Surs de nous, nous avions acheté un vieux machin, menacant d'exploser, tant nous avions parcouru de kilomètres. Nous étions quelque part dans l'Idaho, Guillermo conduisait, c'était tôt le matin. Johnny et Vijay s'engueulaient à l'arrière, parce que l'un avait dû piquer la copine de l'autre. Le van s'est arrêté et on a pu entendre le pot d'échappement toussoter, évacuer ce qui lui restait de fumée.
Et le temps que Johnny appelle la dépanneuse, Vijay avait été pris en stop par une voiture. Il était parti sans un mot, sans même expliquer la raison de son départ. Je crois qu'on a pas bien réaliser sur le moment. Nous étions dans notre bulle, nous étions les rois du monde et il fallait que nos serviteurs viennent nous chercher pour qu'on puisse continuer notre route. Nous avons joué de la guitare sur le bord de la route en attendant la dépanneuse, surveillant nos téléphones, attendant l'appel de Vijay. Mais il n'a pas appelé et la dépanneuse a fini par arriver. Elle nous a emmenés dans un bled perdu, un truc appelé Ruby Creek Falls. Le mec a dit que le van était réparable mais que ca allait prendre du temps, qu'il allait falloir annuler des dates, mais qu'il trouverait bien des gens pour héberger.
Moi je suis romantique, et cette idée m'a bien plu. Non pas que j'aime la campagne, mais l'aventure ne me faisait pas peur. C'est le propre d'une tournée, et Johnny a eu le temps de nous faire un speech là dessus. On pouvait faire de la musique sans Vijay, et au pire, on trouverait un autre batteur.
Dans le garage, je me suis tourné vers Johnny et Guillermo. On s'est souris, ils se sont dirigés vers moi. J'ai eu peur qu'ils me sautent dessus, que l'un monte sur mon dos pour me montrer son soutien. Ils savent que je suis calme, toujours distant, et que je n'irais pas vers eux. Guillermo a embrassé grossièrement ma bouche, pour blaguer, comme quand il est heureux. On avait pas de raison de l'être, à part le simple fait d'être ensemble. On resterait le temps qu'il faudrait.
HORS-JEU ; Show us your true colors
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Prénom & Pseudo : Thibaut
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