Ma chère Céleste,

Sans aucun doute te demandes-tu pourquoi je ne suis pas joignable sur mon téléphone depuis quelques jours. J'espère que tu ne t'aies pas trop fait de soucis, car ce n'était pas mon but. Je m'excuse également de n'avoir pu t'écrire plus tôt, je ne suis arrivé que depuis trois jours, et s'adapter n'est pas aussi facile que je le pensais. Mais commençons par le commencement, tout ce que je te raconte là doit te sembler être du charabia.

Je me suis engagé dans l'armée, ma belle Céleste. Ne te demande pas pourquoi je ne t'en ai pas parlé plus tôt, nous savons pourquoi tous les deux. Tu aurais tout fait pour m'en dissuader, et tu es la seule qui avait une chance de réussir. J'entends déjà quasiment tout tes arguments – que je connais par coeur -, et crois-moi, ils ont eu leur impact sur ma décision. Mais c'est quelque chose qui est plus fort que moi. C'est ridicule quelque part. Je ne suis pas américain, cette guerre n'est pas la mienne... Mais avec mes deux années de médecine derrière moi, je peux être une aide précieuse là-bas. En guerre, on compte toujours le nombre de morts... Moi, je veux compter le nombre de personnes que nous réussirons à sauver. C'est utopique, n'est-ce pas ? Mais que veux-tu, l'on ne se refait pas.

Ne sois pas triste, Celeste. Ne t'inquiète pas pour moi. Je serai prudent. Je tiens à la vie, et tu le sais mieux que quiconque. Je ne me mettrai pas dans des situations extrêmement dangereuses de manière injustifiée, et je chercherai toujours à préserver ma vie. Je t'en fais la promesse. Si tu n'as plus de nouvelles pendant quelques temps, ne te fais pas trop de soucis, d'accord ? Je ne pourrai pas toujours t'écrire, et je prendrai plus de temps à m'occuper des blessés qu'à me préoccuper de moi-même, tu connais ma façon de fonctionner, de réagir. Tu me connais mieux que quiconque, Celeste.

Je ne t'ai pas prévenu pour cette raison. Tu aurais trouvé les mots, et je n'aurai pas su te résister. Mais à mon tour, je vais te demander une faveur : ne me demande pas de rentrer. Tu en es capable, tu ferais même des pieds, et des mains si tu l'as décidé, mais je le refuse. Cela serait inutile. On l'a besoin de moi ici. C'est plutôt calme pour le moment, dieu merci. Je m'adapte, découvre les instruments, et les techniques... J'ai l'impression que je vais plus apprendre ici en un mois que je n'apprendrais jamais en école de médecine, ou en internat... C'est la jungle ici. Mais une chose qui m'épate, c'est qu'une fois le combat terminé, les deux partis laissent les médecins récupérés les corps inanimés, ou parfois des défunts... Il y a un grand respect à ce niveau... On croit tous que c'est le chaos mais... pas du tout, en réalité. Du moins, pas à ce niveau là.

Le côté militaire me plait moins... Ne compte pas sur moi pour t'envoyer de photos de moi avec le crâne rasé, je trouve que cela ne me va absolument pas. L'uniforme un peu plus, mais cela reste étrange. Etre un soldat, ce n'est certainement pas ma vocation, en tout cas. Mais j'ai promis de tenir au moins un an ici, et je ne resterai pas moins longtemps. Ils ont besoin d'aide. On est jamais trop sur le front, il y a toujours trop de blessés, et pas assez de moyens pour les sauver, m'a-t-on dit. Cela me fait peur... Je ne sais pas comment je réagirais au premier patient perdu... ni même au premier patient tout court, d'ailleurs.

Une dernière chose avant que je doive partir. J'ai dit à Frieda que je ne lui écrirai pas du front... Je ne veux pas qu'elle attende mes lettres, ou qu'elle s'inquiète si la poste a un soucis... J'ai vu son regard quand je lui ai annoncé la nouvelle, et je m'en voudrais profondément de revoir cette inquiétude, et cette tristesse sur son visage, ou même de savoir qu'elle peut s'y trouver. Pourrais-tu lui écrire de ne pas s'inquiéter pour moi, et que d'où je suis, je ne l'oublie pas ? Je te joins son adresse sur un autre morceau de papier, tu pourras le mettre de côté ainsi. Elle sait qui tu es, ne t'en fais pas. Je suis sur que tu l'adorerais.

Bien à toi,

Casey.

PS : Je tâcherai de t'écrire toutes les semaines, mais je t'appellerai la semaine prochaine pour quelques minutes. Tu pourras me crier dessus autant que tu le souhaites comme ça. =)