Elle courait à travers les rues désertes, à en perdre haleine. Comme d’habitude, elle s’était levée trop tard, ou avait balancé son radioréveil à l’autre bout de la pièce. Au choix. Lorsqu’elle avait finalement émergé de son sommeil, elle avait réalisé l’heure qu’il était et s’était levée d’un bond. Pas le temps de petit-déjeuner. Cette journée était capitale. Une fois de plus, les habitants oubliaient leurs différends pour s’entraider, s’armer contre l’ennemi public numéro un : ces hommes d’affaire sans scrupules qui avaient un jour débarqués, cet été, pour leur dire quoi faire et comment le faire. Comme si Ruby Creek Falls avait besoin de leurs conseils ! A priori, cette arrivée avait apporté une lueur d’espoir, donné un regain d’énergie à une bourgade essoufflée par les efforts. Mais rapidement, les gens s’étaient rendu compte que ce n’était pas dans leur intérêt, quoi qu’en disent les architectes, les investisseurs et autres richissimes businessmen. En cette journée de début d’octobre, Ruby Creek Falls allait leur montrer qu’il ne faut pas trop jouer avec ses pieds, qu’elle avait beau avoir l’air de faire partie de ces stéréotypes de petites villes isolées, ils n’avaient pas affaire à n’importe qui !

Il était rare que les rues soient si silencieuses, que les boutiques aient fermé pour la journée, que même les commères locales n’étaient pas installées à leurs terrasses, à observer les gens vivre leur vie et à commenter à tout va chacun des passants. La jeune fille avait l’impression d’être encore coincée dans un rêve, elle n’avait jamais vu Ruby Creek Falls dans un tel état et trouvait cela assez perturbant. Mais il n’y avait pas une seconde à perdre, elle voulait participer au projet des habitants, à leur unité si rare et si belle.

Le point de rendez-vous était devant le commissariat de police mais en arrivant sur place, elle dut bien se rendre à l’évidence : tout le monde était déjà parti s’activer. Elle ne ralentit pas l’allure pour autant et grimpa les trois marches pour pénétrer dans le bâtiment avant de réaliser qu’elle se trouvait devant une porte close. Encore plus bizarre. Le poste n’était jamais fermé. Il y avait toujours un policier, sans parler du réceptionniste. Fronçant les sourcils, elle s’écarta du bâtiment, guettant le moindre signe de vie. Une lampe allumée, un rideau qui remue. Rien. La frustration augmentant au fur et à mesure que les minutes passaient, elle chercha autre chose et finit par découvrir une affiche, placardée contre une fenêtre. Lorsqu’elle s’approcha de celle-ci, elle apprit que le point de rendez-vous avait été déplacé dû au nombre de participants. Un sourire se dessina sur ses lèvres et elle tourna les talons, reprenant sa course effrénée en direction des terrains de sport et de l’arène où, visiblement, tout Ruby Creek Falls s’activait pour marquer son désaccord. Pancartes, affiches, t-shirts avec des slogans, peintures de guerre. Tout y passerait pour que le message soit clair et net :

« Quittez notre ville, on ne veut pas de vos plans ! »
« On se débrouillera sans vous ! »
« Notre monde était meilleur avant que vous n’arriviez ! »
« Rien ne détruira jamais notre ville ! »
« Nous sommes les maitres de notre destin ! »

Et tant d’autres.




Tant que les envahisseurs ne seraient pas mis dehors, Ruby Creek Falls arborerait un masque de rébellion. Que ça dure des jours, des semaines ou même des mois, ils feraient comprendre aux businessmen qu’ils n’étaient plus les bienvenus. Ruby Creek Falls s’en sortirait. Elle s’en était toujours sortie jusqu’ici, malgré les différends qui la déchiraient de l’intérieur, alors pourquoi cela changerait-il maintenant ?