WRITE TIL THE INK FADES —

- Macha. Macha, tu m'écoutes? Macha!

Enfin, l'adolescente leva les yeux, comme si elle venait de s'apercevoir de la présence du principal de son lycée. Elle se trouvait dans son bureau, pourtant, et ce depuis près d'un quart d'heure, tandis qu'il tentait vainement de joindre l'un des membres de sa famille, où au moins quelqu'un susceptible de venir la chercher. Elle regarda l'heure sur la pendule murale. Il était bien trop tôt pour que l'on s'inquiète à son sujet. Elle semblait ne plus se souvenir de la raison de sa présence. Son regard était vague, comme si son esprit vagabondait ailleurs.

- Tu sais au moins pourquoi tu es là?

Elle sembla soudainement se réveiller. Les images revenaient dans sa tête. Elle se rappelait la fourchette à la cafétéria. Elle se souvenait l'avoir attrapée fermement. Puis les cris, le sang. En guise de réponse elle se contenta de le regarder fixement. Le calme dont elle faisait preuve semblait exaspérer cet homme face à elle, voir même l'inquiéter. Peu à peu il semblait perdre son sang froid.

- Tu as planté une fourchette dans la main d'un élève! Tu réalises à quel point c'est grave? Qu'est-ce qui t'a pris de faire une chose pareille?

Elle aurait voulu dire que ce n'était pas de sa faute, mais celle des voix, les voix qui avaient soudainement envahi sa tête. Elle n'était pas violente. Elle détestait la vue du sang, ce sang qui la rendait folle. Elle ne l'avait pas fait exprès. Elle ignorait même pourquoi c'était arrivé. Elle ne se rappelait plus vraiment, tout cela formait comme un brouillard épais dans sa tête. Une fois de plus elle avait perdu le contrôle. À la suite de quoi, elle n'aurait su le dire. Sans doute une remarque, une brimade de plus. Et pourtant elle avait toujours fait face aux moqueries des autres sans broncher. Elle pouvait supporter d'être harcelée par les autres élèves, parce que différente. Chaque fois elle conservait le silence, n'en parlant à personne, pas même à son frère à qui pourtant elle avait l'habitude de tout dire. Comment tout cela avait-il commencé? Sans doute avait-elle toujours eu en elle une fragilité psychologique, une sorte de fêlure, qui ne se serait peut-être jamais dévoilée si elle n'avait pas un jour rencontré le Mal. Elle l'avait croisé en rentrant de l'école, sous la forme d'un homme, apparemment inoffensif, qui proposa de la ramener dans sa voiture pour lui éviter d'être trempée par la pluie. Elle ne s'était pas méfiée, trop jeune sans doute. Heureusement, le fait d'habiter une si petite ville lui avait sans doute sauvé la vie. On l'avait vu, et trois jours plus tard à peine, elle avait été retrouvée. Mais le mal était fait, et la brèche s'était ouverte. Au départ, rien ne semblait le signaler. Elle semblait simplement être sous état de choc, ne parlant pratiquement plus, et faisant sans cesse des cauchemars. Mais les choses empirèrent. Elle se mit peu à peu à tenir des propos totalement incohérents, puis des crises, de plus en plus violentes que l'on appelait ses « épisodes » et durant lesquelles elle était totalement hors de contrôle. Elle dut passer des tests, subir des entretiens psychiatriques. Elle était une personnalité instable, atteinte de schizophrénie, ainsi que d'une certaine forme de paranoïa et victime parfois d'hallucination. Voilà ce qui était inscrit dans son dossier, à l'hôpital. Voilà ce qu'elle était. L'internement était prescrit. Il avait été refusé par sa famille, à son plus grand soulagement.

- Je n'ai pas voulu. Je suis désolée.

Elle avait l'air si peu convaincue par ses propres paroles que le principal se contenta de lever les yeux au ciel, d'un air exaspéré. Il avait su, dès le départ, qu'accepter Macha Clearwater au sein de son établissement était une mauvaise idée. Il s'était malgré lui laissé convaincre par l'excellence de ses résultats. Elle était intelligente, voire même surdouée, il ne pouvait le nier. Que ce soit les mathématiques, la danse, les arts, elle aimait apprendre. On la voyait parfois, passer de nombreuses heures le nez plongé dans des livres, à les mémoriser. Mais il comprenait à présent quelle erreur il avait commise. Elle ne parviendrait pas à s'intégrer. Cette gamine était malade. Elle perturbait les élèves et ses professeurs. Il devait admettre que même lui était mal à l'aise en sa présence, en particulier lorsqu'elle le fixait du regard. Elle semblait impossible à cerner, imprévisible, et il lui arrivait parfois d'avoir l'impression qu'elle n'éprouvait pas le moindre sentiment, ce qui lui faisait froid dans le dos. Mais il ne pouvait rien faire d'autre que continuer ce discours, bien qu'il ne semble absolument pas la toucher.

- Ce n'est pas la première fois que quelque chose de ce genre arrive. Ton dossier scolaire en est chargé. Cet élève pourrait avoir les articulations endommagées. Tu auras de la chance si les parents ne portent pas plainte.

Elle se balançait d'avant en arrière sur sa chaise, et pourtant, elle écoutait chacun de ses mots avec la plus grande attention, sans en avoir l'air. Elle savait ce qui allait suivre. Elle pensait à son frère. Elle savait qu'elle était folle, qu'elle était sans doute une charge pour lui. Parfois, dans ses meilleurs moments, elle était lucide. D'autres fois, elle devenait une enfant capricieuse. Mais il arrivait encore que son côté le plus sombre prenne le dessus, sans prévenir. Son regard changeait, et soudainement, elle était capable de tout. Ces crises étaient pour la plupart imprévisibles, bien que l'on ait remarqué que la violence, la vue du sang la fassent particulièrement réagir. Elle faisait toujours des cauchemars, d'une grande violence et parfois voyait des choses qui n'existaient pas, tout en prononçant des paroles sans le moindre sens. Devant son absence de réaction, il insista, éclaircissant sa pensée.

- Tu comprends bien qu'il est impossible de te garder en tant qu'élève.

Oui, elle l'avait déjà compris, et pourtant, en entendant ces paroles, elle leva brusquement les yeux vers lui. Il n'avait pas osé aller au fond de sa pensée, dire tout haut ce que la plupart pensaient. Cette adolescente était dangereuse et sa place était dans un asile, et non aux côtés de citoyens ordinaires. Comme tout le monde ici, il savait ce qui lui était arrivé, et c'était certes malheureux, mais il craignait pour les autres élèves.

- Ça veut dire que vous me renvoyez.

Il acquiesça, bien qu'elle eut tourné sa phrase comme une affirmation, n'attendant aucune réponse de sa part. Elle continuait à se balancer sur sa chaise, de plus en plus fort. Elle se sentit soudainement profondément seule et aurait voulu que son frère arrive, que Tobias soit là et la ramène. Il était la seule personne qui parvenait à la calmer, la seule personne en qui elle avait une totale et absolue confiance. Elle continuait à se balancer, décidée à ne plus parler jusqu'à ce qu'il arrive et l'appelant à l'intérieur de sa tête. Le principal continuait à lui parler, mais elle n'écoutait plus. Elle ne pensait plus qu'à Tobias.

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