Si les apparences pouvaient laisser à penser le contraire, Virginia était quelqu'un de particulièrement chanceuse. Elle n'accordait son amitié qu'à peu de personnes, mais aucune d'entre elles ne l'avait jamais laissé tomber. La sincérité était maitre mot de la vie de Virginia, et cela expliquait probablement le fait que parmi les gens qui comptaient vraiment pour la jeune femme, rares étaient ceux qui ne faisaient plus partis de sa vie. Si beaucoup pensait à Orlando lorsqu'ils parlaient des amis de Virginia, il y avait également Victoria Nightingale. Tory était de loin la meilleure amie de Virginia, et quasiment même sa seule amie fille. Leur relation était elle aussi particulière puisque l'on ne pouvait pas dire que les jeunes femmes se côtoyaient régulièrement, loupant probablement des instants plus ou moins important de la vie de l'autre, mais elles n'étaient jamais éloignées que d'un coup de téléphone. Les moments qu'elles passaient ensemble étaient particulièrement précieux aux yeux des deux jeunes femmes, et même si elles se chamaillaient régulièrement, il n'y avait aucune rancune entre les deux. Il y avait aussi Gaël, le frère d'Orlando, et quelques autres personnes, mais la liste était plus courte. Certains s'en étonnaient, d'autres s'en moquaient. Mais la jeune femme, elle, faisait plus que s'en satisfaire. Ils étaient ses piliers, et si elle ne passait tout son temps en leur compagnie, elle savait pertinemment que sans eux, sans leur présence et leur soutien, elle n'en serait pas où elle en était aujourd'hui, elle ne serait pas aussi épanouie qu'elle l'était, elle ne serait pas elle-même, tout simplement. Mais il n'y avait qu'une seule personne pour laquelle Virginia donnerait sa vie sans se poser une seule question, un seul être à qui elle pardonnerait toujours tout, qu'un seul individu pour qui elle pourrait se dire coupable d'un crime qu'elle n'avait pas connu. Et cet individu n'était autre que Ned Callaghan, son frère. A vrai dire, il était, quelque part, plus que son frère. Depuis qu'il avait sept ans et demi, Virginia avait l'impression qu'elle devait s'occuper de lui comme sa mère aurait du le faire, et qu'il était sous sa responsabilité. Elle lui avait tenu la main toutes les nuits où il faisait des cauchemars. Elle avait celle qui, du haut de ses douze ans, lui avait expliqué que leur père était partie faire un long voyage. A bien des égards, elle avait du se comporter comme une mère pour lui alors qu'elle était à peine une adolescente. Sa famille avait essayer de les préserver une fois que la dépression de leur mère avait été officialisé, mais il était déjà trop tard. La complicité qui les unissait, la force de l'impact que la présence de l'un avait sur l'autre était trop forte pour les séparer. Virginia était alors devenue trop indépendante pour accepter qu'on lui dise quoi faire, ou pour qu'on lui réapprenne à se comporter en l'adolescente qu'elle aurait du être. Préparer le repas midi et soir était une habitude dont elle n'avait pas su se défaire même pendant les quelques mois où sa tante était venu chez eux. De toute façon, à cette période, Virginia était d'ores et déjà en âge d'être émancipée, et il ne lui fallut que quelques semaines pour que la procédure soit établie. Ce ne fut apparemment pas pour déplaire à Ned, qui n'écoutait de toute façon que sa soeur – quand il en avait envie, en tout cas. Leur relation était donc singulière. Rares étaient les frères et soeurs qui étaient aussi proches, et notamment à cet âge. Pourtant, rien ne réunissait à les séparer, pas même eux. En toute honnêteté, Virginia détestait parfois autant son frère qu'elle l'adorait. Il prenait parfois un malin plaisir à la faire tourner en bourrique, sans parler des fois où il se montrait méchant – mais ces cas-là étaient plutôt rares. Si il pouvait l'inquiéter, il n'hésitait pas. Ned savait parfaitement que Virginia se rongerait les sangs, même si il était capable de la rassurer dans la minute. La jeune femme, cependant, ne se gênait pas pour lui rendre l'appareil. Il suffisait que son frère ait le malheur de croiser sa soeur alors qu'il était en compagnie d'une fille pour qu'elle le mette à l'aise – ou plus exactement, mette la jeune femme mal à l'aise. C'en était devenu un jeu à force, témoignant de leur complicité tout comme de l'amour qu'ils se portaient. Mais les plus beaux moments entre Ned et Virginia étaient ceux où ils décidaient de s'allier. Qu'il s'agisse d'une farce, ou de quelque chose de plus calme, ils étaient alors invincibles – et ce sentiment était souvent renforcé par la présence d'Orlando qui ne manquait jamais une occasion de participer aux frasques de la famille Callaghan, après tout lui aussi faisait partie de la famille.

Et en l'occurrence, en ce premier décembre de l'année 2010, alors qu'une vague de froid s'était emparé de la ville, Ned et Virgiia avaient décidé d'aller réchauffer les coeurs des habitants en participant à la traditionnelle « Faites moi rire ! » du Dukes. C'était une soirée qui existait depuis quelques années, et qui avait été créée à l'origine à la suite d'une extinction de voix des chanteurs préférés de la ville. Depuis, tous les premiers décembres, les habitants étaient invités à venir divertir les clients du bar par des spectacles sensés faire « rire ». Il fallait cependant avouer que le concept avait été un petit peu déformé, et que désormais toute sorte de scénettes étaient organisées, drôles ou non, mais toujours démonstratrice de talent. Pour l'occasion, les Callaghans avaient décidé de mettre la main à la pâte, et de s'allier dans un numéro qui en étonnerait plus d'un, sans aucun doute. Il leur avait évidemment fallu répéter, mais il était évident que ce « numéro » finirait nécessairement en improvisation à un moment ou un autre. C'est en retard qu'ils arrivèrent au Dukes alors que quelques numéros étaient déjà passés. Virginia invita Ned à la suivre au bar où Alastar avait apparemment pris la peine de leur réserver deux sièges. « Ta mèche est mal placée... » lui notifia-t-elle, faisant référence au rôle qu'il allait incarné.

J'ai eu du mal à visualiser le sujet donc... j'me rattraperais la prochaine fois

Ned émit un bref soupir, comme s’il s’apprêtait à faire le grand saut, ou à prendre une décision qu’il savait risquée. Il redoutait déjà le résultat, il regrettait déjà d’avoir été si prompt à se jeter dans la gueule du loup mais comme il était un homme de parole – quand ça l’arrangeait, en tout cas –, il ne se défilerait pas.

« Vas-y, tu peux ouvrir » s’exclama joyeusement Cassie, sur un ton qui ne disait rien qui vaille, mi-sérieux, mi-moqueur.

Elle peinait à garder son sérieux, c’était évident. Elle avait probablement pris son pied lorsqu’elle avait accepté le défi qu’il lui avait lancé et maintenant, on allait rire à ses dépends. Qu’à cela ne tienne, Ned Callaghan n’avait pas peur du ridicule. Il n’y avait pas grand-chose qui l’effrayait, d’ailleurs, raison pour laquelle il était adepte des sensations fortes et même si ce soir, ça n’avait rien à voir avec sauter d’un pont, il allait en avoir, des sensations, c’était garanti. Orlando allait certainement contribuer à ce que ce spectacle reste dans les annales de Ruby Creek Falls. Ned Callaghan serait à jamais lié à cet événement et il appréhendait autant la chose qu’il ne l’attendait avec impatience.
Lorsqu’il ouvrit finalement les paupières, il eut l’impression que sa vision avait été altérée, que tout autour de lui avait l’air plus bleu, probablement parce qu’il était resté les yeux clos un long moment mais, surtout, parce que ses mèches blondes venaient balayer ses cils, en une mèche bien lisse, disciplinée. Au-delà des pointes de blé, il y avait la chambre de la jeune Davis. Une pièce rangée sans que ça ait l’air maniaque. Des tons pastel qui lui correspondaient bien, ni masculin, ni féminin.

« Paré ? » s’enquit Cassie en attrapant le dossier de la chaise de bureau sur laquelle était assis Ned.

Pour toute réponse, le cadet Callaghan soupira à nouveau, mais cette fois comme s’il était acculé, qu’il ne pouvait pas faire autrement, de toute façon, et Cassie tourna le siège afin que le jeune homme découvre son reflet dans le miroir de la coiffeuse. Consciencieusement rasé, afin qu’il paraisse imberbe, les cheveux coiffés de manière à ce qu’on ne doute pas une seule seconde de l’identité de son sosie d’une soirée, Ned fixait un visage méconnaissable. Cassie s’était appliquée, c’était évident. Elle l’avait barbouillé de fond de teint pour le rajeunir, faire disparaitre l’aspect carré de ses traits pour le faire ressembler à un adolescent de quinze ans. Ce n’était pas parfait, évidemment, puisqu’il ne ressemblait en rien au modèle voulu mais elle avait fait un travail remarquable.

« Dans quoi j’me suis encore embarqué ? » gémit Ned, le visage faussement décomposé. « J’vais pas sortir comme ça… On aurait dû faire ça directement au Dukes »

Cassie émit le rire qu’il aimait tant, si innocent et taquin à la fois. Elle lui tapota les épaules, comme si elle tentait de le consoler puis attrapa le capuchon du hoodie violet aux lignes noires, reconnaissable entre tous, qu’elle rabattit sur la tête de son ami.

« Tiens, comme ça on te verra moins ! »

(…)

Heureusement pour lui, Justin Bieber n’était pas une mode à Ruby Creek Falls, hormis parmi les jeunes adolescentes de la ville et le trajet qui séparait la ferme familiale des Davis – où Seth s’était bien moqué de lui – du Dukes l’avait épargné. Le fait qu’il soit au volant y était certainement pour quelque chose et à son arrivée au Dukes, il avait soigneusement pris la porte arrière pour éviter d’attirer l’attention mais, surtout, de gâcher la surprise. Après tout, leur numéro serait le clou de cette soirée, il en était certain et, bien qu’ils soient en retard, plus rien ne les arrêteraient.
Orlando ne tarda pas à les rejoindre, alors que Ned faisaient tout son possible pour passer inaperçu, le visage à moitié dissimulé par ses cheveux blonds et par le hoodie et c’était sans compter sur le manque de discrétion du musicien qui éclata de rire en le voyant avant de se réfréner quand Ned lui indiqua de la fermer. Virginia fit remarquer que sa mèche était mal placée et Ned se tourna automatiquement vers sa maquilleuse d’un soir qui, émettant un petit rire, entreprit de rectifier le tir.

« On passe quand ? J’ai une furieuse envie de m’ébouriffer les cheveux ! Je déteste les avoir plaqués comme ça ! » s’exclama-t-il en restant le plus immobile possible pendant que son amie disciplinait sa coiffure d’un soir.

Du coin de l’œil, il vit Orlando émettre un rictus moqueur et pour seule réponse, le cadet Callaghan lui fit un signe des plus grossiers, lui intimant d’aller se faire voir.

Les Callaghans aimaient divertir la gallerie, mais plus que tout, ils aimaient s’amuser. Ils savaient pertinemment qu’en faisant les clowns ainsi, à imiter Justin Bieber, et l’une de ses groupies, ils riraient plus qu’ils ne faisaient rire. Virginia s’était empêché d’exploser de rire en voyant Ned arriver, et elle devait même avouer trouver la ressemblance frappante. Elle donna un léger coup de coude à Orlando après qu’il ait explosé de rire. En effet, le jeune homme ne se doutait absolument pas du clou du spectacle, ou plus exactement qu’il serait filmé par le meilleur ami de sa sœur, et que la vidéo serait diffusé, et rediffusé jusqu’à ce qu’elle ne tire plus aucun éclat de rire de ses téléspectateurs. Elle constituerait également un parfait outil de chantage si la situation l’exigeait. Mais les relations de Ned et Virginia n’en étaient plus là depuis quelques années – même si Virginia devait encore faire preuve d’autorité parentale de temps à autre – et c’était plus pour avoir un souvenir de ce moment qu’autre chose qu’elle avait demandé à Orly de jouer les cameraman. Virginia était entrain de réajuster sa robe à pailettes lorsque Ned rala sur sa coiffure. Un fin sourire se dessina sur son visage. « C’est le lot des artistes, Ned. Tu vas devoir te montrer patient, j’en ai peur. » A vrai dire, Virginia n’avait absolument aucune idée de quand viendrait leur tour.Elle savait qu’ils étaient chargés de cloturer la soirée, suivi par quelques chansons en compagnie d’Orlando, mais il arrivait régulièrement que des ajouts de derniere minute soit fait dans ces soirées, et ils pouvaient donc passer dans une heure, comme dans trois. « Ne t’inquiète pas, la Bieber Fever ne s’échappera pas. » lança-t-elle, alors qu’un groupe d’adolescente, plus jeune d’une ou deux années que Ned, arrivait au Dukes. Exceptionnellement, il avait ouvert ses portes aux plus jeunes, afin que le spectacle des Callaghans soit mis à l’épreuve d’un public de connaisseurs. Et accessoirement, parce que Virginia trouvait ça drôle que Ned devienne la coqueluche des plus jeunes lycéennes, et collégiennes. « Oh, oh. Attention, tu vas devoir convaincre des expertes, on dirait… » lança-t-elle, narquoise. Orlando réprima un autre rire, et proposa qu’une séance d’autographe ait lieu après le spectacle. Au regard noir que lui lançait Ned, il y avait peu de chances que cela arrive. A moins qu’il ne change d’avis sous les applaudissements. « Hey les jeunes, c’est à vous dans dix minutes, passez derrière. » lança Alastar.

Du regard, Virginia ne put s’empêcher de scruter la pièce à la recherche d’une tête familière. En temps normal, elle aurait été certaine d’y trouver Jaden mais depuis leur mémorable dispute, elle n’avait même pas croisé le jeune médecin. Elle ne s’en plaignait pas vraiment, mais une part d’elle-même se demandait comment il allait, et ce qu’il devenait, elle devait l’avouer. Elle ne fit que croiser le regard de Mael occupé à servir des boissons non-alcoolisés à la bande de filles qui venait d’envahir le bar d’habitués. Elle lui offrit un sourire dont elle était la seule à avoir le secret, et rejoignit Orlando qui avait apparemment décidé de jouer les agents ce soir. Il était entrain de noyer Ned de conseils, tous plus ridicules les uns que les autres – mais qui laissait transparaitre une certaine connaissance du jeu de scène de Bieber, et de son attitude sur scène. « Qui l’eut cru ! Orlando Compton, fan de Justin Bieber. Ned te laissera prendre une photo avec lui, et te fera un autographe, j’en suis sure. » se moqua-t-elle, se rangeant du coté de son frère. Il n’y avait pas de moments où la jeune femme se sentait mieux qu’en compagnie de ces deux-là. Elle avait beau les connaitre depuis toujours – et même plus, quelque part, pour Ned -, ils ne cessaient jamais de l’amuser, ou de la surprendre. Evidemment, ils avaient leurs hauts et leurs bas, mais c’était un peu comme quand Gaël se joignait à Virginia et Orlando lors de leurs sorties, plus jeunes. C’était une évidence, et si beaucoup aurait vu ça comme un poids,sortir le petit frère, ou avec le grand frère/la grande sœur, mais pour eux, c’était différent. Du moins à l’heure actuelle. Lors de leur adolescence, Virginia et Orlando aurait tout fait pour être libérés de leur frangin, et maintenant, ils ne loupaient pas une occasion de les embêter, mais aussi de s’amuser en leur compagnie. Malgré leur proximité, ils restaient pourtant tous autant qu’ils étaient particulièrement indépendants, et tellement proches. « Et maintenant… les Callaghans vous ont réservé une surprise. » Un large sourire se dessina sur les lèvres de Virginia. « Allez, Justin ! Va leur montrer ce que c’est la Bieber Fever. Je suis sure que tu es plus doué que lui. » Elle déposa un baiser sur la joue de son frangin, laissant volontairement une trace de gloss sur sa joue, afin de parfaire son costume, et se lança sur scène en sa compagnie alors que les premières notes de « Baby » raisonnait. Que le spectacle commence !

HJ : Pour l'anecdote, y avait trois gamins (bon, le dernier devait avoir 18 ans, et sera horriblement sexy plus vieu mais) qui avaient la coupe Bieber dans l'avion, j'ai trop pensé à Ned, haha !

Ned aurait dû pouvoir supporter sa coiffure éphémère, ayant constamment les cheveux en pagaille. Il ne prenait pas la peine de se coiffer au saut du lit, il se contentait d’un passage rapide devant la glace et il aplatissait les mèches rebelles après s’être passé les mains sous l’eau. Avoir les cheveux dans les yeux ne l’embêtait pas en temps normal mais là, appliqués soigneusement de sorte qu’il ressemblait le plus possible au modèle, il ne le supportait pas. Il avait l’impression que son crâne le démangeait et il n’attendait qu’une chose : que leur passage sur scène soit passé pour pouvoir se passer les doigts dans les cheveux et défaire tout le travail que Cassie avait fait pour le transformer. C’était peut-être la chaleur des spots lumineux, aussi, ou l’ambiance générale qui le rendait nerveux et donc plus sensible à des détails pareils mais il ne pouvait s’empêcher de gigoter sur son tabouret, secouant la jambe et tapotant distraitement sur ses cuisses, au rythme de la musique qui passait à ce moment-là.
Il n’appréhendait pas le ridicule. Il savait qu’il allait attirer les moqueries mais c’était bien son habitude. Il était né pour être le bouffon de service. Cela allégeait certains aspects de sa vie. On le prenait pour quelqu’un de superficiel, de puéril et on l’accablait de punitions équivalentes. Jamais on essayait de le raisonner vraiment, de lui faire voir qu’il gâchait un potentiel énorme. Parce qu’il savait, tout autant que ses professeurs et autres adultes qui le jugeaient quotidiennement, qu’il n’aurait aucun mal à s’en sortir s’il le désirait. Or, pour l’instant, il avait juste envie de s’amuser, d’avoir le cœur et la tête légers, de ne pas avoir à répondre à des questions ou des regards interrogateurs. Il voulait qu’on garde le maximum de malheur et de sérieux à l’écart. Parce que des mauvaises passes, il en avait suffisamment vécues à son goût.
« Ne t’inquiètes pas, la Bieber Fever ne s’échappera pas. » Ned soupira et grimaça d’un air faussement dépité. Il savait à quoi s’en tenir en s’engageant dans une manœuvre pareille et il en payait les conséquences de bon gré, puisqu’il savait que ce moment serait, comme tous les précédents, inoubliables. Il ne pouvait s’empêcher de vouer un culte à sa sœur et à la complicité qui les unissait. Elle avait beau devoir jouer la carte de l’autorité parentale de temps à autre, il voyait avant tout en elle une épaule ferme sur laquelle sa tête pouvait reposer, sans craindre qu’une nouvelle tuile ne lui tombe sur la tête. Alors, bien sûr, ils n’étaient pas à l’abri d’un autre problème, mais tant que Virginia serait là, Ned ne craignait pas vraiment pour son avenir. Et ses plus beaux souvenirs, aussi loin qu’il puise dans sa mémoire, incluaient sa sœur ainée. Elle était son modèle et si parfois elle l’agaçait avec ses défauts féminins, il ne pouvait s’empêcher d’éprouver pour elle une tendresse infinie.
« Oh, oh. Attention, tu vas devoir convaincre des expertes, on dirait… » Ned jeta un coup d’œil dans la direction indiquée et sa mine se décomposa encore plus. Avec ça, il était certain qu’il allait entendre parler de sa performance durant des mois, si pas des années. Rien qu’aux regards en biais que lui lancèrent les adolescentes, Ned sut qu’il avait obtenu toute leur attention sans avoir rien fait de plus qu’afficher son look savamment copié.

« Je suis mort » gémit-il en ne quittant pas ses admiratrices du regard. « Achevez-moi tout de suite.. »

La remarque d’Orlando, loin de calmer la nervosité de Ned, eut l’effet d’une bombe à retardement et le jeune Callaghan lui décocha un regard qui disait quelque chose du genre « t’es pas sérieux, hein ?! » Mais il n’eut pas sa réponse parce qu’Alastor l’interrompit dans son interrogatoire muet, annonçant qu’ils passaient à la casserole dans les dix minutes.
Le jeune homme abandonna son tabouret comme un condamné à mort quitterait sa cellule pour la potence et il se dirigea vers l’arrière de la scène. Le bras d’Orlando ne tarda pas à s’affaler en travers de ses épaules et Ned écouta distraitement les mauvais conseils du musicien.
« Et maintenant, les Callaghan vous ont réservé une surprise ! » annonça une voix de stentor. Elle sonna le glas de la performance la plus honteuse que Ned aurait à donner et c’est sur l’encouragement enjoué de Virginia qu’il entama l’ascension des marches pour retrouver le devant de la scène, où tout se jouerait.
Être au centre des projecteurs n’avait jamais gêné Ned. Aussi loin que sa mémoire remonte, le trac ne l’avait jamais touché. Il voyait son entourage angoisser, se ronger les ongles, marcher de long en large et lui, il restait là comme s’il ne réalisait pas vraiment la raison de toute cette agitation. Quand tous les regards convergeaient vers lui, il ne se sentait pas davantage observé et scruté que s’il s’était retrouvé au fond de la classe. L’attention générale focalisée sur lui coulait sur lui comme l’eau de pluie. Il ne s’en sentait pas mal, mais il ne s’en sentait pas non plus meilleur. Il n’avait pas besoin d’être le point de mire d’un groupe pour se sentir exister. C’est probablement cette caractéristique qui lui était propre qui lui permit de s’avancer vers l’endroit marquer d’un trait discret, au centre d’une cercle lumineux, alors que la musique s’élançait, diffusant la voix désormais familière de l’adolescent qui avait subjugué la partie adolescente de la planète. Aussi naturellement que s’il s’était mis à faire le pitre, Ned se lança dans la chorégraphie qu’il avait soigneusement intégrée au cours des derniers jours et son aisance naturelle sur les planches fit tout le reste. Les cris lui semblaient lointains, la lumière était trop aveuglante pour qu’il distingue quoi que ce soit et il ne réalisa l’effort que représentait cette danse acharnée que quand il sentit la chaleur envahir son corps et la sueur perler sur ses tempes, sous la masse de cheveux. Lorsqu’il croisa le regard de sa sœur, son visage fermé et concentré s’éclaira d’un sourire espiègle et il tendit la main dans sa direction, comme s’il l’invitait à venir danser à ses côtés.

« Baby, baby, baby, ooh ! » s’écria-t-il, chantant faux, sans en être gêné.

Les rires qui fusèrent le confortèrent dans l’idée qu’aussi ridicule soit sa prestation, les gens s’amusaient follement. Et c’était tout ce qui importait au jeune homme.

Appuyée contre Orlando, Virginia regardait son frère les yeux emplis de fierté, et avec une pointe de soulagement. Ce genre de moment était pour elle une preuve qu'elle n'avait pas fait un aussi mauvais travail que ça en l’élevant. Elle avait du jongler entre son rôle de soeur et un rôle de mère qui n'était pas le sien, et à l'heure actuelle, en voyant à quel point Ned était épanoui, elle était certaine qu'au fond, une bonne étoile veillait sur eux. Une bonne étoile, et un entourage hors du commun. Il y avait Orlando évidemment, mais également sa famille, essentiellement composée de Arlène, et Gaël. La mère de ce dernier n'avait pas hésité à donner des conseils à la meilleure amie de son fils, et à s'occuper de son frère de temps à autre que ce soit pour les devoirs, ou les week-ends lorsque Virginia souhaitait sortir. Il y avait également eu sa famille un peu plus éloignée qui les avait pris pendant certaines vacances, mais ils ne s'étaient jamais vraiment rendus compte de la situation dans laquelle Ned et Virginia se trouvaient – peut-être était-ce mieux ainsi, au final. Ils étaient tous les deux heureux, et n'avaient pas à se plaindre de grand chose sinon d'avoir grandi trop vite. Virginia se débrouillait pour avoir toujours quelque chose à mettre sur la table, et Ned contribuait également dès qu'il en avait l'occasion – le reste, c'était l'héritage de leur père, et la pension de sa mère qui le payait. Dans les personnes que la jeune Callaghan pouvait également remercier, on retrouvait également Alastor Dukes. Sans que personne ne comprenne réellement pourquoi, il s'était pris d'affection pour la petite fratrie Callaghan, et avait embauché Virginia dès qu'elle avait eu l'âge légale. En tant que serveuse, dans un premier temps, puis en tant que chanteuse. Il l'avait également aidée à trouver ce job au supermarché du coin. Ainsi, si Virginia aurait peut être choisi, eut-elle eu le choix, de poursuivre ses études, elle ne changerait la situation dans laquelle elle se trouvait pour rien au monde. Quelque part, elle avait eu une chance incroyable dans son malheur : avoir Ned comme frère – il savait se montrer insupportable, mais c'était presque dans ces moments-là qu'elle le préférait ; presque – et ne jamais avoir à se sentir seule. Et c'était probablement ce qui lui avait permis de s'acquitter de toutes les tâches qu'elle avait géré – le ménage, le loyer, sa mère, … - sans jamais avoir l'impression que c'était impossible. Lorsqu'elle était prête à craquer, elle savait qu'elle pouvait prendre deux jours de repos, et quelqu'un serait là pour surveiller que tout allait bien pour Ned – à l'heure actuelle, de loin -, et que le reste suivait. Une chance que certaines mères de famille n'avait pas.
Témoin de son émoi, Orly déposa un baiser sur sa joue, la poussant légèrement vers la scène. Elle n'allait pas tarder à devoir rejoindre son frère ; dès que la chanson finirait à vrai dire. Elle enchaînerait avec Fly on the wall de Miley Cyrus, et ils finiraient sur un mash-up inédit des deux « artistes ». Quelques secondes à peine, Ned l'invita à la rejoindre sur scène. La jeune femme enfila donc sa perruque chocolat, pour que ses cheveux ressemblent plus à ceux de l'adolescente, et rejoignit son frère sans se faire prier. Ils n'avaient pas réellement répété quelque chose mais l'improvisation était quelque chose qui n'avait effrayé la demoiselle, et elle le suivit rapidement dans la chorégraphie tandis qu'il entamait le second refrain, s'appliquant à chanter aussi faux qu'elle le pouvait. Quitte à faire le clown, autant se ridiculiser jusqu'au bout. Rapidement, pourtant, la chorégraphie ne fut plus suivi, ou plus réellement et la fratrie Callaghan se lança dans une interprétation de la chanson digne d'une comédie musicale signée Julliard School. Bon, d'accord. Peut être pas non plus.

La chanson touchant à sa fin, la jeune femme ne put s'empêcher de provoquer un dernier imprévu sur le spectacle du soir, étant certaine que cela provoquerait l'euphorie – et que son frère aurait l'intention de se venger. Mais elle avait hâte de voir sa tête, et le temps qu'il lui faudrait pour se dépatouiller de ce dans quoi elle comptait le lancer. Elle descendit rapidement de scène, faisant signe à Ned de continuer ; elle n'en avait – littéralement – que pour une minute. Sans gêne aucune, elle se mit debout sur le bar, dérobant le micro d'Alastor au passage, et attendit que son frère finisse la chanson pour faire son annonce. « Et maintenant. Mesdemoiselles, tandis que Miley Cyrus vous interpréta Fly on the wall, Justin se fera un plaisir de descendre pour prendre des photos entre votre compagnie. Evidemment, je vous demande un minimum de retenue. Chacune votre tour. » Elle afficha un sourire satisfait avant de regarder son frère droit dans les yeux. « Oh, une dernière chose. Je sais qu'il est célibataire, insista-t-elle lourdement sur ce dernier mot, mais ce n'est pas une raison pour le harceler. Il préfère les filles discrètes, voyez-vous. » Un large sourire sur les lèvres, elle fit un clin d'oeil à son meilleur ami qui était d'ores et déjà entrain de pousser son frère en bas de la scène. Il n'y avait pas meilleur complice qu'Orlando Compton. « Alastor ? Musique ! » Et c'est encore sur le bar qu'elle commença à entamer sa chanson – son playback – s'approchant sournoisement de son frère l'interrogeant directement : « don't you wish that you could be a fly on the wall ? » avant de retourner jouer avec le public ou sur la scène. Décidément, cette soirée se révélait bien plus amusante qu'elle ne l'aurait pensé. Il n'y avait vraiment rien de tel que l'improvisation.

Ned se sentait aussi bien sur scène que quand il somnolait au fond de la classe. Quel que soit l’environnement dans lequel il se trouvait, il évoluait au gré de ses envies, et non de ce qu’on attendait de lui. Perché sur l’estrade, illuminé par des spots aux couleurs variables et variantes, il se trémoussait et gesticulait en se contrefichant totalement de ressembler à un petit singe surexcité. Il avait un peu chaud à cause de la température qu’il faisait sous cette lumière qui le ciblait mais cette ambiance le rendait encore plus exubérant, comme si l’excitation du public déployait son énergie jusqu’à ce que tout le monde soit bien forcé de tourner son attention vers la danse effrénée et la performance exagérée du cadet Callaghan.
On aurait pu penser qu’avec la vie de famille qu’il avait et, surtout, l’absence d’une réelle figure paternelle, le jeune homme tournerait mal. D’accord, en un certain sens, beaucoup vous diront que Ned Callaghan est une mauvaise graine qui pousse sauvagement sans que personne ne tente de le réfréner un minimum. Mais jusqu’à preuve du contraire, Ned n’a jamais rien fait de fort répréhensible ou qui aurait pu, en tout cas, causer du tort à bien des gens. Il n’était ni raciste, ni violent alors son seul tort était sûrement sa tendance à la frivolité et son manque de sérieux lorsque la situation le requérait parfois. Incapable de se plier à toute forme d’autorité, aussi dérisoire soit-elle, le jeune homme était devenu un habitué des heures de colle et connaissait parfaitement le bureau du directeur de Ruby Creek Falls High School. Les gens se disaient qu’il ravalerait un peu de sa désinvolture le jour où il irait à l’université car, oui, élève brillant comme il l’était, malgré les apparences, Ned avait été accepté dans plusieurs universités prestigieuses à travers les Etats-Unis et il n’avait, en réalité, plus qu’à choisir laquelle il désirait intégrer. Mais quitter Ruby Creek Falls ne l’intéressait pas du tout, contrairement à bien d’autres jeunes et il laissait donc cette probabilité sommeiller dans un coin de sa tête jusqu’à ce qu’il soit forcé de se pencher sur cette perspective d’avenir. Difficile à croire, en voyant le joyeux luron s’égosiller et gesticuler sur scène, qu’à la rentrée, il y avait de fortes chances pour qu’il ait intégré un campus universitaire.
Ned avait ce gros défaut qu’il ne parvenait pas vraiment à se projeter dans l’avenir. L’université, il ne la considérait pas comme exclue, mais il n’y pensait pas. C’était un vague horizon vers lequel il se dirigeait mais qui était-il pour décider que sa voie était toute tracée ? Elle était loin de l’être, il avait tellement de choses à vivre et tant d’événements pouvaient venir contrecarrer ses plans. Alors il préférait ne rien anticiper et voir comment les choses se présenteraient. Ce n’était même pas qu’il avait peur de la déception – d’ailleurs, il n’était pas certain d’avoir déjà ressenti une chose pareille – c’était juste qu’il ne se voyait pas s’imposer des détails qui risquaient de l’empêcher de saisir une autre opportunité – comme un voyage autour du monde, par exemple, qui sait si ça ne pouvait pas lui apparaitre comme une évidence d’ici la fin de l’année ?
Mais ces perspectives ne lui traversaient pas l’esprit alors qu’il faisait son show, tout sourire, les sourcils parfois froncés parce qu’il était concentré. Quand Ned Callaghan s’activait, il se donnait à fond, peu importe ce qu’il y avait au bout de la performance et quand il vit sa sœur le rejoindre, il ne se posa même pas la question de savoir ce qu’ils allaient faire exactement, le fait qu’ils n’aient rien de vraiment construit ne l’angoissa pas. Quitte à passer pour un idiot, autant que ça soit le cas jusqu’au bout, surtout qu’il avait entraperçu ici et là les reflets d’appareils photos et caméras qui s’amusaient à inaugurer ce moment complètement inutile. Le morceau passa à une allure folle et, déjà, les dernières notes résonnaient, ce qui surprit Ned qui avait passé les trois dernières minutes à réagir aux pas de danses de sa sœur, les imitant parfois, les contrecarrant à certains moments. Il y avait eu une telle intensité qu’il en avait oublié où il était et ce qu’il faisait. Il n’y avait que lui et son idole de toujours.
Essoufflé, Ned regarda Virginia quitter la scène, s’il fut légèrement étonné, il ne s’empressa pourtant pas de la suivre, surtout qu’elle lui avait fait signe de continuer. Alors il s’exécuta, s’approchant du bord de la scène pour saluer son public en liesse – ou plutôt hilare – en exagérant sur toute la parade. « Et maintenant, mesdemoiselles, tandis que Miley Cyrus vous interprétera Fly on the wall, Justin se fera un plaisir de descendre pour prendre des photos en votre compagnie. » N’ayant pas venu venir ce coup bas, Ned se redressa subitement, jetant un regard faussement courroucé à sa sœur mais ne niant pas pour autant l’idée. S’il voulait garder sa parodie jusqu’au bout, il devait rester de marbre face à cette plaisanterie de sa sœur. Mais une chose était certaine, son cerveau s’emballa rapidement, cherchant une contrattaque digne des Callaghan. « Oh, une dernière chose. » Ned observa sa sœur avec attention, guettant le moindre détail qui lui permettrait de savoir ce qu’elle avait derrière la tête. « Je sais qu’il est célibataire mais ce n’est pas une raison pour le harceler » Laissant retomber sa tête en arrière, les yeux clos et soupirant, Ned ne put réprimer le sourire qui lui étira les lèvres. Ah ! Elle ne perdait rien pour attendre, tiens ! La peste ! « Il préfère les filles discrètes, voyez-vous. » Fronçant les sourcils, il la regarda à nouveau, se demandant si elle insinuait quoi que ce soit derrière cette remarque mais il n’eut pas vraiment le temps de sonder le regard de sa sœur, Orlando l’attirait déjà vers son prochain calvaire et Virginia s’était tournée vers le maitre des lieux en s’exclamant : « Alastor ? Musique ! » Ned retrouva la pseudo sécurité du bas de la scène et émergea près du bar après avoir salué les filles de sa classe qui, jouant le jeu, s’étaient mises à hurler comme des hystériques en tendant les bras vers lui pour venir frôler ses avant-bras et tâter ses muscles. Elles ricanèrent en le voyant grimacer et retournèrent avec leurs copines pendant que le jeune homme s’approchait de sa sœur : « Don’t you wish that you could be a fly on the wall ? » Pour seule réponse, Ned traça une ligne le long de sa gorge, du bout de l’index, signifiant bien à sa sœur qu’elle était morte. Loin de sembler inquiète, Virginia l’abandonna et alla échauffer un public encore hilare de la prestation précédente. Reprenant son souffle, Ned s’installa sur un tabouret. Finalement, c’était bien fatigant de jouer les Justin Bieber, le gamin était coriace !
Un groupe de filles vint immortaliser la coupe – déjà moins fraiche – de Ned en venant enrouler leurs bras autour de ses épaules et pressant leurs lèvres carmin sur les joues moites du jeune homme. « J’en serais presque jaloux ! » déclara Orlando en terminant de lui massacrer son déguisement en lui ébouriffant les cheveux. « La prochaine fois, ce sera ton tour d’avoir un moment de gloire, Compton, t’inquiète pas ! » répliqua Ned avant de commander un Coca Cola bien mérité. Instinctivement, il guetta une frimousse dans l’assemblée mais c’est sans grande surprise qu’il constata son absence. Josie n’était pas vraiment le genre à venir ici et d’un côté, c’était peut-être mieux, qui sait si elle aurait apprécié la plaisanterie en le voyant jouer l’idiot du village sur scène. Quoique leur dernière escapade lui avait bien prouvé que la demoiselle était plus surprenante qu’il n’y paraissait. « N’est-ce pas… NED ! » s’écria Orlando, faisant sursauter le jeune Callaghan qui tourna vers l’autre un regard paumé. « Allez, dis-moi qui tu avais à l’esprit, que j’excuse le vent que je me suis pris grâce à toi ! » Ned afficha un sourire en coin, loin de se démonter face à une réflexion d’une pertinence étonnante. « Personne » répondit-il, sachant que s’il ne faisait que mentionner le prénom de sa protégée, les railleries allaient arriver, et ce, Dieu sait pour combien de temps.