and hope that we will never see the truth around. (luka)

LUKA BARTHOLOMEW, ANDREW COLEMAN.
@ bartholomews’ residence.
7.20pm

Je faisais peut-être bien fausse route depuis le début. Je m’étais peut-être royalement trompé sur le compte de Luka, sans m’en apercevoir au fil de toutes ces années. J’étais bien sûr au courant de tout ce qui se disait à propos de lui, mais je m’étais appliqué au fil des années à ne pas y prêter attention, à camper sur mes positions. Luka était mon meilleur ami depuis toujours pour ainsi dire, et même s’il pouvait agir en parfait connard avec certaines personnes, il avait toujours été plus ou moins réglo avec moi, aucun conflit majeur n’était survenu en une quinzaine d’années. Alors franchement, je n’avais aucune raison d’accorder trop d’attention à tout ce que j’entendais dire à son sujet. Je n’étais pas non plus décidé à le changer, sachant parfaitement que ce serait de toute façon impossible, il était comme il était, et jusque là, cela me convenait parfaitement, je n’avais aucune raison d’aller chambouler les choses, vraiment. Tout allait pour le mieux, nous venions juste de signer le contrat finalisant la création de notre entreprise, Ruby Records - ou plutôt, Luka avait finalisé les choses tout seul, je n’avais pas pu être présent ce jour-là, mais il m’avait assuré qu’il pouvait s’en charger sans moi. Ruby Records avait donc ouvert à la mi-septembre, et les affaires allaient bien, le magasin remportait un franc succès auprès des habitants de Ruby Creek Falls. Nous étions pratiquement sûrs que d’ici six mois environ, Ruby Records, ou l’accomplissement de notre passion pour la musique, nous permettrait de dégager pas mal de bénéfices.

Mais c’est justement dans ce climat positif au maximum, tout s’était bien passé, tout se passait bien, tout allait bien se passer dans le futur, qu’apparurent mes premières inquiétudes, ou plutôt suspicions, je ne savais pas vraiment à quoi j’avais affaire. Tout commença le jour où je décidai de mettre le nez dans les comptes de Ruby Records, en tant que CFO, il n’y avait rien de plus normal à faire après tout. J’épluchai page par page les relevés de banque, annotant ici ou là quelques lignes, avant de me stopper net sur une ligne en particulier. Je pensai tout de suite que c’était une erreur, une erreur majeure, certes, mais une erreur tout de même. Le banquier m’assura que ce n’en était pas une, me laissant déconcerté avec ma liasse de relevés, et une ligne en particulier qui semblait s’être imprimée dans ma rétine. Comment était-ce possible? Comment cela se faisait-il que durant le premier mois d’existence de Ruby Records, du 1er au 31 octobre, je n’ai reçu aucun dividende, alors que les affaires marchaient très bien et que j’aurais dû tout de même recevoir un petit quelque chose. Le banquier m’avait affirmé que ce n’était pas une erreur, bon, très bien, peut-être que mes dividendes s’étaient retrouvés par mégarde sur un des divers comptes que nous avions ouvert pour la création de Ruby Records, c’était sûrement ça, mes dividendes s’étaient perdus rien de plus grave... Je décidai de partir à la recherche de ces « dividendes perdus » épluchant les relevés une nouvelle fois. Je n’en trouvai aucune trace, remarquant même au passage que les dividendes de Luka, eux, ne s’étaient en aucun cas perdus et étaient parfaitement arrivés à destination sur son compte personnel. La situation était définitivement étrange, et j’étais bien décidé à ne pas la laisser passer. Les chiffres ne mentent jamais, je l’avais bien appris en cinq années d’études en finance à Princeton. Et dans ce cas, le 0 imprimé au bout de la ligne indiquant mes dividendes ne mentait pas; il se passait définitivement quelque chose de louche, dans mon dos de surcroît. Je décidai toute fois de ne parler de la situation à personne pour le moment, préférant acquérir un peu plus d’indices et d’informations avant d’agir, il y avait peut-être une bonne raison pour que ce 0 apparaisse après tout.

Suspicieux et alerte, je décidai de surveiller de plus près les finances et les activités en général de Ruby Records. J’avais retardé de plusieurs semaines le moment où je m’étais décidé à éplucher en détail les relevés, je devais faire plus attention, j’avais peut-être loupé quelque chose d’important à un certain moment. En tant que titulaire d’un master en finance, je me voyais mal faire face à une erreur majeure que j’aurais commise, ou à tout autre désastre ou problème financier dans l’entreprise, je devais être sur mes gardes. Au sujet de mes dividendes, je me disais qu’après tout, ce n’était pas bien important, je n’avais qu’à attendre le mois suivant, peut-être que cette fois-ci, ils apparaîtraient sur le relevé, et tout reviendrait alors dans l’ordre. Perdre un mois de dividendes était vraiment le cadet de mes soucis. D’ailleurs, quand je soulevai vaguement le sujet auprès de Luka, à la mi-novembre, il me conseilla également d’attendre l’arrivée des relevés du mois de novembre, me disant que mes dividendes du mois d’octobre apparaîtraient peut-être même sur ce relevé, si j’avais de la chance. Les relevés du mois de novembre arrivèrent dans la boîte aux lettres de Ruby Records le même jour qu’un courrier adressé à « M. Luka BARTHOLOMEW - Ruby Records » ce qui m’étonna. J’étais CFO et associé, les courriers envoyés à l’adresse de Ruby Records était censés porter nos deux noms, ou sinon la seule mention « Ruby Records - direction » ou quelque chose du genre. J’ouvris l’enveloppe, découvrant un courrier adressé uniquement à Luka, et ce dès l’en-tête. « Mr Bartholomew, Merci pour (...) Nous serons heureux d’avoir un partenariat avec votre entreprise (...) Merci de nous communiquer vos disponibilités (...) » L’expéditeur ne m’importait pas, je n’y fis même pas attention, je restai fixé sur le fait que la lettre toute entière était exclusivement adressée à Luka, sans aucune mention d’un quelconque associé, ou CFO, ou tout simplement de mon nom, alors que le courrier mentionnait un partenariat. J’aurais donc dû, premièrement, être mentionné dans la lettre, et deuxièmement, Luka aurait tout simplement dû m’en parler à un moment ou à un autre. J’en oubliai presque les relevés du mois de novembre, que j’ouvrais avec appréhension, craignant de me retrouver face à une autre mauvaise surprise. Mes yeux trouvèrent rapidement la ligne qui m’intéressait. Le 0 avait disparu, remplacé par un 1 imprimé à l’encre noire. Oh, très bien. Someone clearly had some explanations to give.

Il était aux alentours de 7pm, et nous étions le premier samedi du mois. Ce qui voulait dire que Luka ne pouvait se trouver qu’à un seul endroit à ce moment précis, et c’était dans cette direction que je me dirigeais, appuyant nerveusement sur l’accélérateur. La lettre et les relevés du mois de novembre était sur le siège passager, attendant patiemment dans leurs enveloppes ouvertes à la hâte l’occasion d’exposer à nouveau leurs fichus caractères. Il était rare que je me mette en colère, ou plutôt, que je mette réellement en colère. J’étais d’une nature calme et conciliante, préférant les calmes explications aux grandes démonstrations de colère, mais les circonstances étaient ici différentes. Si pendant presque deux mois, mes suspicions quant à l’absence de dividendes sur mon compte pour le mois d’octobre n’avait porté sur aucune personne en particulier, j’étais désormais pratiquement sûr du coupable. Je devais l’avouer, je m’étonnais presque de ne pas y avoir pensé auparavant, ou après tout, c’était peut-être normal. Quel genre de personne soupçonnerait son meilleur ami de lui avoir joué un sale coup dans son dos au sein de leur propre entreprise, vraiment? Mais Luka n’était pas un meilleur ami ordinaire. J’avais beau le considérer comme un frère, je devais aujourd’hui me rendre à l’évidence, et remarquer que toutes ces remarques à son sujet que j’avais écartées de mon esprit auraient pu m’avertir. Bon, je n’étais peut-être pas à 100% sûr que Luka soit derrière tout ça, mais une chose était sûre, il pourrait très certainement m’éclaircir sur la situation.
La porte d’entrée de la demeure familiale des Bartholomew n’était bien évidemment pas fermée à clef ce samedi soir, et je pénétrai rapidement dans la maison qui m’était si familière, après tant d’années. Ne prenant pas la peine de m’essuyer les pieds ou d’enlever mon manteau, je bifurquai sur ma droite, entrant directement dans la salle à manger, où étaient attablées plusieurs personnes - comme je l’avais prévu. Tous les regards se tournèrent vers moi, alors que je m’avançai vers l’endroit où Luka était assis, agitant les courriers que je tenais à la main.

« Tu peux m’expliquer ce qu’il se passe, Luka? »

Je posai les deux courriers sur la table, scrutant sa réaction, alors que tous les regards étaient toujours posés sur moi - j’avais très certainement fait sensation en déboulant au beau milieu du dîner de famille mensuel des Bartholomew, mais je n’en tins pas rigueur.

La table de la grande salle à manger famiale avait été dressée avec attention et gout ce soir. Luka traversa la pièce d'un pas tranquile, jetant un coup d'oeil au nombre de couverts qui avaient été disposé par sa mère quelques heures plus tôt; il ne s'arrêta pas, aucune réaction ne venant troubler ses traits alors qu'il réalisait qu'une assiette supplémentaire avait été rajoutée au nombre habituel. Comme le voulait les traditions, les Bartholomew organisait un petit dîner de famille où la plupart des membres étaient conviés; ceux qui acceptaient de venir bien sûr (et cela changeait énormément au fil des repas et des frasques des mâles Bartholomew). Ce soir, alors que Luka connaissait l'identité de toutes les personnes qui seraient présentes à la table; l'assiette supplémentaire "sans identité" l'intrigua. Une seule personne pouvait débarquer à l'un de leur repas sans être officiellement annoncée et ca n'était autre que Tristan, son cousin éloigné qu'il n'avait pas revu depuis des lustres. Continuant sa route vers la cuisine, où sa mère s'afférait à tout préparer dans les temps; Luka s'appuya contre la porte du frigo et croisa les bras, observant calmement sa mère faire revenir des oignons dans une grande poêle. "T'as des nouvelles de Tristan?" demanda t-il sans que son regard ne quitte les mains de sa mère. "Oh oui! Je ne t'ai pas dit; il a prévu de revenir en ville quelque temps. Il est en route et ne devrait pas tarder à arriver. Je parie que tu es heureux de le revoir, vous allez en avoir à vous dire, des choses" répondit Madame Bartholomew sur ce même ton enjoué qui la caractérisait tant. Luka lui décocha un petit sourire et hocha la tête alors qu'il se redressait et s'approchait du plan de travail. "Je te le fais pas dire.. J'espère juste que le boulot ne viendra pas gâcher cette soirée" conclut-il en piquant un morceau de concombre fraichement découpé et en l'enfournant dans sa bouche, les sourcils légèrement relevés.

Dire qu'il n'avait pas vu venir les choses aurait été la pire des provocations. Luka était un jeune homme doué qui réfléchissait toujours à tout avant de se décider ou de faire quelque chose; il analysait les conséquences que ses actes pourraient avoir avant même de les faire et parfois, même si ceux-ci résultaient en une énième dispute ou une volée d'insultes, Luka ne se rétractait pas et fonçait dans le tas. S'il y avait la moindre chance pour que quelque chose lui soit bénéfique, l'arrogant jeune homme tentait le tout pour le tout. Il était solide; les critiques, il les acceptait lorsqu'elles étaient construites ou bien, à l'inverse, il n'y prêtait pas attention et continuait d'avancer lorsqu'elles n'étaient lancées que par des personnes en désespoir de cause et prêtes à sauver leur propre fierté d'une dernière vaine tentative; combien de fois n'avait-il pas entendu quelqu'un (des filles la plupart du temps), lui dire que c'était un salaud qui finirait seul et qui ne trouverait jamais personne pour le supporter? Des milliers de fois, mais ca ne l'empêchait certainement pas de faire son petit bonhomme de chemin pour autant; les menaces, il n'en avait que faire; qu'on l'aime ou qu'on le déteste, sa vie à lui ne changeait pas; surtout lorsqu'il avait un but précis en tête... Mais lorsqu'en plein milieu de la soirée la porte d'entrée s'ouvrit à la volée, alors que toute sa famille était attablée et degustait le délicieux repas que la maîtresse de maison avait pris soin de préparer, Luka ne put empêcher ses muscles de se contracter d'appréhension. Il intercepta quelques regards surpris alors que son père était déjà aux aguets, debout, prêt à aller voir qui venait faire interruption de la sorte chez eux un soir tel que celui-ci; mais il n'eut pas le temps de faire un pas que déjà la silhouette élancée d'Andrew faisait éruption dans la salle à manger. Il tenait dans ses mains une poignée de feuilles et Luka n'eut même pas à chercher longtemps; rien qu'en regardant la colère faire briller les yeux sombres de son meilleur ami; il sut. « Tu peux m’expliquer ce qu’il se passe, Luka? » l'entendit-il lui lancer avec hargne alors qu'il venait de jeter les deux lettres sur la table, aux yeux de tous. "Luka, qu'est-ce-" commença Monsieur Bartholomew, interrompant le silence gênant qui avait fait taire tous les invités. "Papa s'te plaît, laisse tomber". Luka attrapa les deux courriers et se leva pour être à la même hauteur que son ami, qu'il regarda sans faillir bien qu'il se sentait étrangement touché par son arrivée impromptue. Il posa sa main sur une des omoplates de son ami, dans le seul but de l'emmener ailleurs que dans cette pièce mais Andrew fit voler sa main en un coup d'épaule. "Si tu veux savoir ce qu'il se passe Andrew, va falloir que tu me suives ailleurs qu'ici. Ca nous regarde tous les deux cette histoire, je n'ai pas forcément envie ni même besoin que la soirée de mes parents tombent à l'eau à cause de ça" expliqua t-il calmement à son ami. Il sentait bien tous les regards sur lui; celui de sa mère, inquiète que quelque chose de grave ne se soit produit, celui de son père, redoutant déjà de devoir réparer les bêtises de son fils; celui de ses oncles et tantes et celui de son cousin; Tristan, qu'il 'navait pas vu depuis des années et qui avait plus d'importance pour lui que celui de ses propres parents; mais c'est bien le regard emprunt de colère et de rage de son meilleur ami qui absorbait toute son attention. Andrew ne scilla d'ailleurs pas après sa proposition et l'espace d'une seconde, Luka se demanda s'il n'allait pas lui cracher à la figure et l'assomer d'une bonne droite tant il sentait qu'il était prêt à lui bondir dessus. Il connaissait le jeune Coleman depuis des années; depuis toujours même; ensemble ils formaient un duo qui en étonnait plus d'un mais qui, au fil des années avait grandi, s'était soutenu et avait prit une place toute particulière dans la vie du jeune Bartholomew. Andrew était comme son frère et il ne l'avait vu s'énerver que de très rare fois tant il était quelqu'un de calme. D'eux deux, c'était lui le plus enflammé et le plus téméraire mais Luka n'en avait jamais profité pour lui marcher sur les pieds. Ils étaient tous deux égaux... Ils étaient tous deux égaux jusqu'à aujourd'hui, jusqu'à ce qu'il découvre le pot-aux-roses.
Ayant bien compris que son ami n'était pas près à coopérer; Luka prit les choses en main et se dirigea vers la prote qui donnait sur l'entrée, espérant que son ami le rejoindrait et que la bombe à retardement qu'il représentait n'explose qu'une fois qu'ils seraient seuls. Il douta qu'il le fasse mais finalement; il entendit ses pas pressés -et qu'il devina être enragés-, le suivre précipitamment. Il le remercia intérieurement une fois de plus de faire comme ca l'arrangeait et, lorsqu'ils furent tous deux hors d'écoute des personnes présentes, Luka s'arrêta et se retourna pour faire face à son ami. Il se décida enfin à parler après avoir brièvement regarder les courriers que son ami lui avait porté "Ruby Records est à mon nom" se contenta t-il de dire d'un ton monochorde mais toutefois bien audible et sans trémolos. Luka ne mentait pas lorsqu'on lui posait des questions et dès l'instant où il avait signé les papiers concluant le marché, le jeune homme savait que viendrait un jour où son ami voudrait en entendre les explications. "Ton nom n'apparaît pas sur tous les documents, j'ai les pleins pouvoir de la boîte... Mais ca j'imagine que tu dois l'avoir compris; tu es loin d'être un idiot"