(Ruby Records) "Sans la musique, la vie serait une erreur."[Nietzsche] ft. Andrew

"On ne vend pas la musique. On la partage."
Leonard Bernstein

L'hiver était bien installé à Ruby Creek Falls et la ville était toute recouverte d'un joli manteau blanc. Rares étaient les courageux qui sortaient de leur foyer bien chaud pour s'aventurer dans les rues, et pourtant, à l'approche du Nouvel An, il fallait bien se résoudre à quitter la chaleur cotonneuse des maisons et des appartements pour arpenter les rayons des magasins. C'était le cas de Josie qui avait accepté d'aller faire une petite course pour sa mère. La jeune fille s'emmitoufla dans un manteau bien chaud, enroula son cou dans sa grosse écharpe de laine rouge et enfila son bonnet assorti. En sortant, elle attrapa ses gants sur le meuble de l'entrée et les enfila en constatant que l'air était plutôt frais. Le nez dans l'écharpe, elle marcha jusqu'au centre ville, elle n'avait pas loin à aller pour rejoindre la boulangerie et elle était plutôt heureuse de pouvoir quitter le toit familial. Si elle aimait sa famille, elle n'en n'aimait pas moins sa liberté et quelques moments de solitude. Sur le chemin, elle croisa une voisine qui promenait son chien. Josie la salua avec un grand sourire et la vieilla dame lui souhaita une bonne journée. L'adolescente adorait cette ambiance de quartier où tout le monde se connaissait et où les voisins étaient près à s'entraider lorsqu'il le fallait. Mme Jones, la voisine en question, demandait toujours un coup de main à la mère de Josie lorsqu'était venu le temps de transplanter certaines des "merveilles" qui peuplaient son petit jardin, service que Mme Armstrong lui rendait toujours avec le plaisir. Les deux femmes partageaient un goût immodéré pour le jardinage et profitaient toujours de ces petits services pour bavarder. Josie appréciait assez Mme Jones qui s'était parfois occupée d'elle lorsqu'elle était plus jeune. La vieille dame avait toujours des histoires passionantes à raconter et était toujours au courant des derniers ragots courant en ville. Cette ambiance chaleureuse entre voisins, Josie ne l'avait jamais ressentie lorsqu'elle vivait chez son père à Boise. C'était peut-être la raison pour laquelle elle était revenue habiter avec sa mère à Ruby Creek Falls. Un an dans la capitale de l'Idaho l'avait guérie de toutes ses envies de grandes villes. Toute cette agitation, les inconnus que l'on croisait partout, pas un visage connu, tout cela avait contribué à la rendre mal à l'aise là-bas. Pourtant, elle aimait passer du temps avec son père et passait quelques week ends par an chez lui, ainsi que les vacances de Pâques et un mois des vacances d'été. Cette année, elle avait passé Noël en sa compagnie également, préférant de loin son père à la fête de Noël en compagnie de sa mère, de son nouveau petit ami et de ses enfants. Josie voyait d'un mauvais oeil cette relation. Au fond d'elle, elle n'avait toujours pas accepté le divorce de ses parents.

Son petit sac sur l'épaule, Josie allait bon train vers le centre. Elle savait pourtant qu'elle allait traîner devant les vitrines des magasins. Les décorations de Noël l'amusaient. Arrivée dans la rue commerçante, elle freina le pas afin de pouvoir observer les décorations ainsi que les nombreux "coffrets Noël" qui s'affichaient à chaque vitrine. Le 25 décembre était déjà passé, pourtant ces paquets cadeaux continuaient à se vendre. Il n'était pas rare que les gens les achètent pour en offrir le jour de l'an à leurs proches. Le sourire aux lèvres, la cheerleader s'émerveillait de la beauté de la ville en hiver. La neige en tas sur les trottoirs courageusement dégagés par les commerçants, les pick-up à moitié couverts de neige qui arpentaient la chaussée, les passants emmitouflés dans de chaudes écharpes et les enfants qui jouaient à se lancer des boules de neige. A chaque fois qu'elle se rendait en ville, Josie s'arrêtait devant la vitrine du magasin de musique Ruby Records. L'histoire de ses propriétaires était presque miraculeuse, l'American Dream, en quelque sorte. Cet après-midi, elle allait faire quelque chose qu'elle ne faisait que rarement: entrer. Elle avait un peu d'argent de poche et avait prévu de s'acheter quelques partitions. Son père savait quelle passion elle vouait à la musique, bien qu'il n'ait jamais eu l'occasion de l'entendre, si ce n'est à travers la porte de sa chambre. Il croyait en elle et le lui répétait à longueur de temps, ce qui faisait plaisir à la jeune fille, mais ne suffisait pas à lui faire prendre confiance en elle. Sa mère aussi savait que la musique faisait partie de la vie de sa fille, mais ne lui en parlait jamais, ne l'encourageait pas vraiment. Encore moins depuis qu'elle passait son temps avec son nouvel ami. Soit, Josie n'avait pas besoin d'elle pour ce genre de choses. L'adolescente poussa la porte du magasin et s'amusa de la petite cloche qui tinta au-dessus de sa tête. Machinalement, elle se dirigea vers le rayon des partitions, mais son regard fut attiré par un objet qui était apparu dans la boutique: un magnifique piano à queue. Certes, ce n'était pas un piano digne des plus grands artistes, mais la marque était assez renommée dans le monde de la musique. De toute façon, que ferait un habitant de Ruby Creek Falls avec une pièce de maître? Les gens d'ici avaient d'autres préoccupations que de posséder un piano hors de prix sur lesquels les plus grands auraient pu poser les doigts. Passionnée de piano, Josie ne put résister: il fallait qu'elle le voie de plus près. Son piano droit à elle était bien moins imposant, cette pièce lui semblait tout droit sortie d'un rêve. Un petit sourire se dessina sur son visage alors qu'elle le contournait, émerveillée, des étoiles plein les yeux. Elle n'osa tout d'abord pas le toucher, puis, du bout des doigts, elle effleura le bord de l'instrument. Le laqué noir était parfait, pas une trace de doigt, pas un grain de poussière. Elle jeta un oeil derrière le comptoir. Personne. Le vendeur était certainement en réserve. Elle approcha ses doigts du clavier dont le couvercle était relevé. Les touches semblaient si brillantes, si lisses. Dieu que ce piano devait avoir un son magique ! Elle poussa sur la touche du la médium et un son cristallin sortit de la caisse de résonance. Elle en eut un frisson. Autre chose que son vieux piano d'occasion que son père lui avait offert un jour pour remplacer ce vieux synthé au son métallique et trop synthétique. Elle poursuivit sa contemplation du piano et, lorsqu'elle se résigna enfin à le quitter des yeux pour se diriger vers le rayon des partitions, elle sursauta. Le vendeur était apparu, comme sorti de nulle part. Ou plutôt il était sûrement venu à sa rencontre en entendant le son du piano, mais elle était trop occupée par sa contemplation qu'elle n'avait rien vu venir. Elle émit un petit cri, comme toujours lorsqu'on la prenait par surprise. C'était incontrôllable chez elle. Par réflexe, sa main vint se coller à sa poitrine, comme pour retenir son coeur battant la chamade de sortir de sa poitrine.

" Oh mon Dieu! Vous m'avez fait peur! "